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sécurité de la France. Si modérée que nous paraisse cette revendication, elle a été qualifiée d’impudente (unverschämt) et d’inouïe (unerhört) par les historiens allemands qui l’ont relatée ; lorsqu’ils l’entendirent formuler pour la première fois, les plénipotentiaires prussiens levèrent les bras au ciel, en protestant qu’elle dépassait de beaucoup l’étendue des dédommagements promis à la France. On finit par transiger en lui accordant quelques acquisitions partielles au-delà des frontières de 1792 : en Belgique, les sources de l’Oise (Philippeville et Marienbourg) ; en Allemagne, Sarrelouis et Landau, avec une partie du bassin de la Sarre ; dans le Jura, le pays de Gex ; sur les Alpes, les arrondissements de Chambéry et d’Annecy. L’Angleterre, de son côté, se taillait sa part dans le domaine colonial qu’elle avait conquis. Un congrès général devait enfin se réunir à Vienne dans un délai de deux mois pour compléter les dispositions du traité, mais sur les bases qu’arrêteraient entre elles les puissances coalisées contre la France.

L’on aperçoit au premier coup d’œil l’étendue des sacrifices auxquels celle-ci devait consentir, a la suite de ses défaites. Elle voyait sa situation territoriale définitivement réglée, sans espoir de l’améliorer dans un congrès où elle assisterait passivement au partage de ses dépouilles, en vertu d’accords conclus sans elle et contre elle. — Si la haine de ses adversaires n’avait été que trop prévoyante sur ce point, elle semblait en revanche être restée en défaut lorsqu’ils avaient négligé de faire figurer la levée d’une contribution de guerre et la nécessité d’une occupation militaire parmi les garanties nécessaires à prendre contre le pays vaincu. Ce n’était point toutefois la faute des Prussiens accourus à la curée, et dont les représentants présentèrent à leurs collègues français une note de 160 millions, pour fournitures de guerre impayées entre 1807 et 1812. Ils en furent pour la honte de leur rapacité. Leurs prétentions rencontrèrent d’abord la répugnance d’Alexandre et échouèrent ensuite devant l’insurmontable résistance de Louis XVIII : ce dernier déclara que plutôt que d’y céder, il se laisserait interner aux Tuileries, comme autrefois Pie VII au Vatican ; il ajouta même que, tous comptes faits, il aimerait mieux dépenser 300 millions pour combattre les Prussiens que 100 pour les satisfaire. Quant à [a question de l’occupation militaire, l’armistice du 23 avril l’avait déjà résolue par la négative.