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tous les peintres — comme ces malades qui s’en vont désespérément à la recherche de tous les spécialistes célèbres, — sans pouvoir parvenir à trouver celui qui les comprend.

Les laides, au contraire, n’ont qu’à gagner à un portrait. Elles ressemblent à ces textes obscurs, où un grand écrivain peut découvrir un sens admirable. L’air d’ineffable contentement où sont parvenues Mme Morel de Tangry et ses filles, chez David, par exemple, ou encore la reine Charlotte, chez Gainsborough, ou plus près de nous, au Petit Palais, la reine Maria Luisa, chez Goya, montre assez les félicités qui attendent les laideurs authentiques, lorsqu’elles trouvent un grand artiste pour se vouer à leur sauvetage. Quand tout est ingrat dans une physionomie, ou du moins médiocre, lorsque les amis, la famille, et l’intéressée même s’accordent là-dessus, ou se résignent, il n’y a plus aucun danger à appeler le peintre. L’opération la plus hasardeuse ne saurait rien compromettre : elle peut tout sauver. Et, lui-même, il se sent bien mieux à son aise. Tout ce qui ne sera pas déplorable, dans l’effigie obtenue, c’est lui qui sera censé l’avoir mis. Tout ce qui ne déshonorera pas son modèle lui sera tenu à honneur. Il peut donc tout se permettre et, notamment, la vie. Souvent, une expression fugitive et vive, qui risquerait de gâter la régularité d’une beauté impeccable, masque la dissymétrie d’une figure mal tournée, ou en sauve la vulgarité. Ainsi, plus une figure est disgracieuse au repos, plus le peintre a le loisir de l’animer : c’est, là, que Goya, dans son portrait de la Reine d’Espagne avec ses enfants, est incomparable. Le fragment copié par Fortuny, dans le grand tableau du Prado et exposé au Petit Palais, nous édifie abondamment sur ce point.

Pourtant, il est parfois arrivé qu’une femme belle ait inspiré un beau portrait. On ne saurait croire que tous les modèles de Reynolds, de Romney, de Hoppner, de Lawrence, fussent des laiderons. Et l’on sait que les peintres anglais ont parfois la dent dure. Une dame, un jour, qui posait pour Opie, lui exprimait le désir que son portrait fût très beau : « Alors, Madame, je suppose que vous ne tenez pas à la ressemblance, » dit le peintre. Il ne faut donc décourager personne de se faire peindre, pas même la plus jolie personne, mais il faut qu’elle y apporte quelque prudence et quelque attention.

D’abord, le choix du peintre. Et pour le déterminer, la