Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/580

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étaient, comme l’a dit leur poète Gaj, « comme une île dans un océan slave ; » ils assujettirent, assimilèrent ces tribus slaves ou les repoussèrent dans les montagnes. L’aristocratie magyare qui a toujours gouverné la Hongrie et même, surtout depuis 1867, l’Empire tout entier, avait à résoudre un problème difficile ; en minorité dans son propre royaume, elle n’a cru pouvoir se soutenir qu’en employant toutes les forces de l’Etat au service du Magyarisme et en pratiquant une politique de centralisation et de magyarisation sans merci. Elle a été un remarquable instrument de gouvernement ; elle s’est donné une mission qu’elle a remplie avec toute son énergie, celle de faire entrer, de gré ou de force, dans les cadres de l’Etat Magyar, les peuples sur lesquels régnait le roi de Hongrie ; avec les hobereaux prussiens, les magnats Magyars sont, dans l’histoire, l’un des types les mieux caractérisés d’une aristocratie gouvernante et conquérante. Ils ne pouvaient maintenir leur pouvoir qu’en l’étendant sur des peuples nouveaux. C’est ainsi que, tantôt avec l’aide des Habsbourg, tantôt contre eux et avec l’appui des Turcs, ils réussirent à soumettre à leur domination la Transylvanie, la Slovaquie, la Croatie. Ils furent les plus ardents, en ces dernières années, à réclamer l’annexion de la Bosnie et de l’Herzégovine et la guerre contre la Serbie.

Mais l’art particulier des Hongrois fut de se présenter à l’Europe occidentale comme un peuple épris de progrès et de liberté. Ne les avait-on pas vus, en 1849, en révolte contre leur souverain ? N’ont-ils pas constitué un Gouvernement parlementaire avec deux chambres où la liberté du langage allait jusqu’aux pires violences ? Ils oubliaient de dire que l’égalité, en Hongrie, était le privilège des seuls Magyars ; la plainte des nationalités opprimées n’arrivait pas jusqu’à l’Europe occidentale. Un homme comme le comte Albert Apponyi avait, en France et en Angleterre, la réputation d’un « libéral ; » il était cependant l’auteur de la fameuse loi sur les nationalités qui est l’un des plus terribles instruments d’assimilation forcée qui ait jamais été forgé au profit d’une nationalité et aux dépens des autres. Vis-à-vis des nationalités, les procédés des Andrassy, des Weckerlé, des Kossuth ne différaient pas de ceux de Mme Koloman et Etienne Tisza[1] ; des hommes comme Deak

  1. Voyez, entre autres ouvrages récents, sur les procédés de gouvernement des Hongrois : Aurèle G. Popovici : La question roumaine en Transylvanie et en Hongrie (Payot, 1918, in-16) ; G. Beck, Les responsabilités de la Hongrie (Payot, 1917, in-16).