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de la frontière saxonne. La Bohême est admirablement délimitée et protégée de trois côtés par ses montagnes ; du quatrième, elle se continue par le plateau morave, qui appartient au domaine des populations tchèques : il est impossible d’introduire un État germanique dans la forteresse naturelle qui, depuis si longtemps, résiste aux assauts des Allemands. Suivre scrupuleusement la limite ethnographique serait les installer dans la plaine de l’Elbe à 60 kilomètres de Prague, c’est-à-dire à portée de canon.

Au point de vue économique, la Bohême est une et indivisible. Les Allemands avaient naturellement mis la main sur les régions minières les plus riches et les plaines les plus fertiles ; mais, presque partout, la main-d’œuvre est tchèque. Les charbonnages sont indissolublement liés à la prospérité de la Bohême tout entière ; elle leur doit son brillant essor industriel. Cette solidarité des diverses régions de la Bohême est si évidente que la plupart des Allemands de Bohême la reconnaissent eux-mêmes ; toute mesure qui les séparerait de Prague et des Tchèques les ruinerait et les obligerait à émigrer ; ils le disent et, à l’exception des pangermanistes, ils acceptent le maintien de l’unité de la Bohême. Le journal allemand Montagsblatt de Prague, qui s’était toujours montré très hostile aux Tchéco-Slovaques, écrivait le 4 novembre : « L’avenir de la Bohême allemande est uniquement dans le cadre de l’État tchéco-slovaque ; l’union avec l’Empire allemand serait un désastre pour les industriels allemands de Bohême. Sans les céréales des Tchéco-Slovaques et leurs pommes de terre, la Bohême ne peut pas vivre. » Un meeting ouvrier, tenu le 3 novembre à Eger (Cheb), c’est-à-dire dans la région la plus allemande et la plus anti-slave de toute la Bohême, votait un ordre du jour dans le même sens. Les pangermanistes favorisent en Bohême la propagande bolcheviste ; c’est un signe qu’ils savent leur cause perdue et qu’ils préfèrent la subversion générale à l’organisation pacifique d’une Bohême prospère ; l’attentat contre le grand patriote Karel Kramar, président du Conseil, a été un premier résultat de leur activité ; mais, parmi les Tchèques, le sentiment national est trop fort, la satisfaction de la liberté enfin conquise est trop vive, pour que le bolchevisme puisse s’implanter.

La République démocratique tchéco-slovaque est prête