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LE CAFÉ-CHANTANT[1]


I

Blidah était en fête. Les Arabes célébraient le dernier soir du Ramadan. Pendant que sept heures sonnaient aux horloges, une salve de canon partait d’une des collines environnantes, se déployait en roulements sourds dans l’azur enflammé, et venait mourir sur la ville basse, déjà baignée d’ombre. Les maisons blanches de la ville haute, plus proches, s’ébranlaient. De toutes parts, des you-you éclataient, des cris de réjouissance, des invocations à la gloire d’Allah. Dans les rues étroites, des bandes joyeuses d’enfants, en gandourahs de soie bleues et roses, en babouches vernies, lançaient des pétards, applaudissaient de leurs petites mains rougies de henné jusqu’aux poignets, et entonnaient à tue-tête des refrains populaires. De loin en loin, le battement assourdi d’un tambourin, la chanson aiguë et nasillarde d’une raïta annonçaient l’approche d’une procession de pèlerins.

Entre les murs pleins des constructions menues, parmi les courettes badigeonnées à la chaux bleue, c’était une animation débordante. Les femmes, en costumes bariolés de satin et de dentelles, allaient et venaient, se hâtaient pour recevoir les Sidis au retour de la Mosquée, activaient la préparation du repas du soir, mettaient un dernier ornement à leur toilette, décoraient leurs têtes coiffées de foulards d’or avec des guirlandes de jasmin et de mimosa, et parfois s’interrompaient pour exhaler de leurs poitrines sonores un you-you de joie palpitante. Une odeur d’encens flottait depuis midi, mêlée aux parfums des

  1. Copyright by Elissa Rhaïs, 1919.