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diplomatiques que si elles y étaient directement invitées par le chef d’une ambassade ou d’une mission. Cette précaution prise, j’employai la journée à tout préparer au ministère des Affaires étrangères pour pouvoir remettre dans le plus bref délai mes fonctions à mon remplaçant éventuel.

Le soir du 21 juillet, je dînais en très petit comité chez l’ambassadeur d’Angleterre, sir Arthur Nicolson (aujourd’hui lord Carnock). Au nombre des convives était sir Donald Mackenzie Wallace, qui avait fait une brillante carrière dans le journalisme comme correspondant du Times avant et pendant la guerre russo-turque et qui, à cette époque, était chargé de la politique étrangère dans le grand organe anglais. Connu personnellement de l’Empereur qui le tenait en grande estime, il lui avait parlé avec beaucoup de franchise, s’appliquant à soutenir la thèse des libéraux modérés. J’avais avec lui de fréquents entretiens, et comme nous étions en pleine communion d’idées et que je pouvais entièrement compter sur sa discrétion, je l’avais mis au courant de mes pourparlers pour la formation d’un nouveau ministère.

Après le diner, causant avec moi sur le balcon de l’ambassade d’où on avait une vue superbe sur la Neva, sir D. M. Wallace s’aperçut de l’état d’abattement où m’avait plongé l’écroulement de mes projets. Comme il me pressait de questions, je ne lui cachai pas que les événements avaient pris une tournure défavorable, mais ne pus lui révéler le coup de théâtre qui se préparait pour le lendemain. À ce moment, nous fûmes rejoints par sir A. Nicolson qui me demanda ce que signifiait exactement la circulaire qu’il avait reçue de moi dans la journée. Je n’avais pas le droit de lui confier la vérité : je me contentai donc de répondre que le gouvernement avait des raisons pour s’attendre à de sérieux désordres pour le lendemain, mais qu’il n’y avait rien à craindre pour la sécurité de l’ambassade.

De l’ambassade d’Angleterre, je me rendis directement, à pied et en longeant les quais, à la résidence de M. Goremykine où les membres du Conseil des Ministres devaient attendre son retour de Péterhoff. Malgré l’heure tardive, la Neva, majestueuse dans son lit de granit, était encore éclairée par la lumière blafarde d’un soleil invisible, mais qui, à cette époque de l’année, ne quitte l’horizon de Saint-Pétersbourg que pour