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Me rendant compte de l’impasse où s’était engagé le Gouvernement, je profitai de mes relations personnelles avec quelques-uns des membres du parti libéral modéré, tant à la Douma qu’au Conseil de l’Empire, pour aviser avec eux aux moyens d’en sortir. Ces conversations, auxquelles s’était associé M. Stolypine, prenaient une tournure de plus en plus intéressante et me confirmaient dans la conviction qu’il était parfaitement possible d’établir une entente entre le pouvoir et la représentation nationale. Je me décidai finalement à tenter d’ouvrir les yeux de l’Empereur sur les dangers de la situation ; l’entreprise était hasardeuse, car elle allait, à l’encontre de toutes les habitudes bureaucratiques ; l’Empereur pouvait arrêter dès le premier mot la tentative insolite du ministre des Affaires Etrangères pour s’immiscer dans une question qui n’était pas de son ressort ; j’étais résolu dans ce cas à lui présenter séance tenante ma démission.

Je réunis chez moi très secrètement le petit groupe de mes amis politiques et nous élaborâmes en commun un mémoire que je m’engageai à placer sous les yeux de l’Empereur à la première audience que je devais avoir au palais de Peterhof. Le mémoire fut rédigé par un jeune député de beaucoup de talent appartenant au parti libéral modéré, M. Lvoff.

En voici le résumé :

« Un abime, y était-il dit en substance, existe entre la Douma et le Gouvernement, creusé par leur méfiance et leur hostilité réciproques. Cette désunion provient de la composition du ministère, dont tout le personnel est pris dans les rangs de la bureaucratie. La Douma est ainsi poussée dans la voie de l’opposition, alors qu’elle est en majorité composée de partisans de réformes législatives pacifiques et d’ennemis de la Révolution. L’issue à une pareille situation ne saurait être trouvée que dans le rétablissement des liens entre le Gouvernement et la Douma. Il conviendrait, à cet effet, de remplacer le cabinet actuel par un nouveau ministère auquel participeraient des membres de la Douma. A la présidence du Conseil pourrait être appelé le président actuel de la Douma, M. Mouromtzoff. Le portefeuille de l’Intérieur serait attribué soit au titulaire actuel, M. Stolypine, soit à M. Mourorntzoff, auquel on adjoindrait M. Moukhanoff et le prince Lvoff. Il serait très important d’introduire dans le ministère M. Schipoff,