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ces hommes avaient appartenu aux cadres du Gouvernement sous le règne libéral de l’empereur Alexandre II. Au premier rang de ce groupe, on remarquait un oncle de ma femme, le comte Pahlen : à l’âge de trente ans, il avait été choisi par l’empereur Alexandre II pour introduire en Russie, en qualité de ministre de la Justice, la réforme judiciaire qui avait été un des grands actes de son règne. Le comte Pahlen était un beau vieillard aux grandes manières d’autrefois, chargé d’honneurs et choyé par la cour, mais connu pour avoir gardé une complète indépendance vis-à-vis du Gouvernement et universellement respecté pour son intégrité et la noblesse de son caractère. A côté de lui apparaissaient des hommes comme le comte Solsky, M. Goloubeff, les deux frères Sabouroff (dont l’un avait été ambassadeur à Berlin et avait dû quitter son poste à cause de l’antagonisme qu’il témoignait au prince de Bismarck), Gerhardt, Koni et autres, tous bureaucrates, mais doués de vues larges, de vastes connaissances et d’une grande expérience des affaires. Il y avait d’ailleurs, d’une façon générale, ceci de curieux que, plus un bureaucrate était âgé, plus il se distinguait par son esprit libéral, esprit qui avait été celui du règne de l’empereur Alexandre II, tandis que les fonctionnaires plus jeunes étaient presque tous imbus des idées réactionnaires du règne de l’empereur Alexandre III. Une place à part était occupée au Conseil de l’Empire par le comte Witte, qui venait de quitter le pouvoir et dont on se demandait quelle attitude il allait prendre envers le Gouvernement.

Au moment dont je parle, le Conseil de l’Empire ne se présentait nullement sous les traits qui le distinguèrent plus tard, d’une assemblée imbue d’idées réactionnaires ou prête à servir d’instrument docile entre les mains du Gouvernement. Sa transformation dans ce dernier sens ne s’opéra que peu à peu grâce au soin que l’on mit en haut lieu de n’y laisser pénétrer, à titre de membres nommés, que des personnes appartenant aux partis de droite. Au cours de sa première session, le Conseil de l’Empire fit non seulement preuve de beaucoup d’indépendance et d’un esprit large et éclairé, mais, comme nous allons le voir, il fit opposition au Cabinet incohérent de M. Goremykine et ne mérita donc nullement l’hostilité a priori que lui témoigna la Douma.

Moi-même, malgré le constant usage en vertu duquel les