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nous de M. Schwanbach, contrôleur de l’Empire[1]. Ce bavard insupportable et plat représentait le type le plus accompli de ces fonctionnaires d’origine allemande, partis de bas, mais laborieux, et se guindant aux degrés supérieurs de la hiérarchie russe à force d’intrigues. M. Schwanbach s’était fait une spécialité de critiques violentes dirigées contre la gestion financière du comte Witte ; il consignait ces critiques dans des factums qu’il faisait circuler sous le manteau dans les sphères de la cour, espérant par-là se faire remarquer de l’Empereur. Il s’était acquis de cette manière le renom peu mérité d’habile financier et obtint d’être nommé à un poste pour lequel il n’était que fort peu qualifié. Prêt à toutes les besognes, et ne reculant pas devant les plus louches, M. Schwanbach s’était introduit dans l’intimité de l’ambassadeur d’Autriche-Hongrie, le baron d’Aerenthal, et lui servait d’informateur sur les affaires intérieures russes ; on verra plus loin l’influence que ces informations exercèrent sur la politique autrichienne à l’égard de la Russie et le tort qu’elles causèrent aux intérêts russes.

C’est à dessein que je n’ai pas encore mentionné le plus remarquable de tous les membres du Cabinet, M. Stolypine, ministre de l’Intérieur, qui devait bientôt remplacer M. Goremykine à la tête, du gouvernement. Il mérite de fixer tout particulièrement l’attention. Je m’y arrêterai plus longuement : d’abord à cause du rôle important que ce ministre a joué dans la vie politique de son pays ; et puis, parce que les relations étroites que j’ai entretenues avec lui jusqu’au jour où je dus m’en séparer me permettront de tracer de lui un portrait qui, je voudrais l’espérer, fera apparaître sous son vrai jour sa remarquable personnalité, souvent méconnue de son vivant, et calomniée depuis sa mort. Je m’empresse d’ajouter tout de suite que les raisons qui m’ont éloigné de lui furent d’un ordre purement politique et ne portèrent aucune atteinte ni à mes sentiments de grande admiration pour son caractère, ni à l’amitié personnelle qui subsista entre nous jusqu’au jour de sa mort.

Pierre Stolypine était issu d’une ancienne famille de gentilshommes russes et appartenait par sa naissance et par sa nombreuse parenté à la haute société de Saint-Pétersbourg : son

  1. Président de la Cour des Comptes, ayant en Russie rang de ministre.