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par le comte Witte et s’était acquitté avec succès de cette tâche délicate. A l’encontre de la majorité de ses collègues, il n’était animé d’aucune hostilité systématique à l’égard de la Douma et se montrait prêt à collaborer sincèrement avec elle ; mais ses vieilles habitudes bureaucratiques et son manque d’expérience des assemblées parlementaires lui rendaient cette tâche difficile et furent souvent la cause de froissements qui auraient pu facilement être évités avec un peu plus de souplesse de sa part. C’est ainsi qu’un jour, voulant préciser que, d’après la charte de 1905, les ministres russes étaient responsables non devant les Chambres, mais seulement devant le souverain, au lieu de dire qu’en Russie il n’y avait pas de « Gouvernement parlementaire, » il souleva l’indignation unanime de la Douma en déclarant qu’en Russie il « n’y avait pas, grâce au ciel, de Parlement. » M. Kokovtzoff jouissait d’autre part de l’énorme avantage d’être doué d’une éloquence remarquable ; les longs discours qu’il faisait à la Douma et où il se montrait non seulement ministre d’une haute compétence, mais orateur aussi impeccable, furent toujours attentivement écoutés et, le plus souvent, favorablement accueillis par les députés.

Que dire de la plupart des autres membres du Cabinet ? A la Guerre, il y avait le général Rüdiger, vieux militaire qui avait fourni une carrière sans éclat dans les bureaux de l’administration militaire et dont le court passage au ministère ne laissa aucune trace. A la Marine, l’amiral Birileff, celui-là même que nous verrons apposer sa signature au bas du traité de Bjorkoe sans le lire et qu’une surdité avancée rendait incapable de prendre part aux débats du Conseil des Ministres ou de la Douma. D’autres postes, et non des moins importants, étaient tenus par des réactionnaires déclarés, tels que M. Stichinsky, ministre de l’Agriculture, et M. Scheglovitoff, ministre de la Justice, plus tard chef du parti de l’extrême droite du Conseil de l’Empire. Les fonctions si redoutées au temps du célèbre Pobiédonostzeff, de procureur général du Saint-Synode (ou ministre des Cultes), étaient remplies par le prince Schirinski-Schichmatoff, partisan fanatique du régime autocratique, adonné à la dévotion la plus étroite et convaincu que l’octroi de la Constitution avait été presque un sacrilège. Enfin, brochant sur le tout, nous subissions l’humiliante présence parmi