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faisais partie, bien à contre-cœur : étrange assemblage de fonctionnaires dont la plupart n’étaient liés entre eux par aucune similitude de programme, mais seulement par une commune antipathie pour le nouvel ordre de choses et pour le principe même du régime représentatif.

A la tête du gouvernement se trouvait M. Goremykine, vieux bureaucrate qui comptait déjà, à cette époque plus de cinquante ans de carrière au service de l’Etat. On se rappelle avec quel étonnement on le vit plus tard reprendre cette place peu de temps avant la grande guerre européenne ; surpris d’être appelé au pouvoir à une époque aussi critique, il se compara lui-même à une vieille pelisse que l’on sort du coffre au moment d’une intempérie inattendue. Hélas ! en 1906 comme en 1914, cette pelisse paraissait absolument usée et impropre à préserver la monarchie de l’ouragan qui la menaçait.

Ce qui frappait surtout, c’était le contraste entre le nouveau chef du gouvernement et le comte Witte qui venait de quitter le pouvoir. Autant ce dernier, malgré les déboires qu’il avait subis au cours des derniers mois, continuait à en imposer même à ses ennemis, par ses talents et par son énergie autant la figure de M. Goremykine paraissait pâle et effacée. On se demandait ce qui avait pu le désigner au choix de l’Empereur. L’explication la plus plausible était qu’il avait su se rendre personnellement agréable à l’Impératrice régnante comme membre de différents comités de bienfaisance présidés par la souveraine. M. Goremykine se piquait d’être fin courtisan et affectait volontiers les manières surannées des anciennes cours ; mais ce qui semblait surtout avoir séduit l’Impératrice, c’était l’étalage qu’il faisait de ses sentiments ultra-monarchistes.

Le représentant le plus marquant de l’ancienne bureaucratie dans le Cabinet était, sans contredit, le ministre des Finances, M. Kokovtzoff. (Il succéda plus tard comme Président du Conseil à M. Stolypine, après l’assassinat de celui-ci, et céda lui-même sa place à M. Goremykine). C’était un homme doué d’une remarquable capacité de travail et se distinguant par une probité universellement reconnue. Il avait parcouru tous les degrés de la hiérarchie officielle et acquis une vaste expérience non seulement en matière de finances, mais dans les branches les plus diverses de l’administration. Peu de temps auparavant, il avait été chargé de négocier à Paris le grand emprunt préparé