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nouvelles luttes encore plus âpres, peut-être encore plus sanglantes ?

Pour ma part, j’espérais fermement qu’une ère de grandeur et de prospérité allait s’ouvrir pour la Russie : je n’en éprouvais pas moins un sentiment d’angoisse à me trouver ainsi au seuil d’un changement radical dans les destinées de mon pays, changement qui revêtait, grâce au spectacle que j’avais devant moi, une forme pour ainsi dire vivante et tangible.

Le cortège impérial allait se former ; j’y pris ma place et me trouvai bientôt dans la salle réservée à la cérémonie, à quelques pas de l’Empereur, qui se tenait debout devant le trône.

Je n’avais pas vu l’Empereur depuis les journées mouvementées de l’automne précédent : je lui trouvai l’air vieilli et fatigué. Il était d’ailleurs en proie à une visible émotion ; il parcourut du regard les députés, qui étaient massés d’un côté de la salle (de l’autre étaient rangés les membres du Conseil de l’Empire), et, dépliant un papier qu’il tenait à la main, il lut son discours d’une voix un peu sourde, mais bien assurée, articulant distinctement chaque mot et parfois soulignant un passage.

Le discours de l’Empereur fut écouté dans le plus grand silence : il produisit visiblement une bonne impression sur les députés. Dans la plupart des discours précédents de l’Empereur et des actes récemment promulgués par le gouvernement, toute allusion à une « Constitution » ou à une limitation quelconque des droits souverains avait été soigneusement évitée ; on pouvait craindre que l’Empereur ne profitât de cette occasion pour affirmer encore une fois le caractère autocratique de son pouvoir ; les députés furent donc agréablement surpris par le passage suivant du discours impérial :

« Pour ma part, je protégerai d’une manière inébranlable les institutions que j’ai accordées, car je suis fermement convaincu que vous emploierez toutes vos forces à servir avec dévouement la patrie, pour donner satisfaction aux besoins des paysans si chers à mon cœur, à l’éducation du peuple et au développement de sa prospérité, en vous rappelant que, pour qu’un État prospère véritablement, il ne lui faut pas seulement la liberté, mais aussi l’ordre fondé sur les principes de la Constitution. »