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conversations pour tâcher de lui démontrer et, par son intermédiaire, de démontrer à l’Empereur la nécessité de faire à temps des concessions au parti libéral modéré, dont les demandes étaient raisonnables, afin d’avoir le concours de ce parti pour résister aux exigences croissantes des radicaux et des révolutionnaires. Mes efforts en ce sens étaient énergiquement appuyés par le frère de l’Impératrice, le roi Frédéric VIII, homme de grand bon sens politique, qui venait de succéder à son père, le roi Christian IX, sur le trône de Danemark. L’Impératrice consentit à écrire à son fils pour l’engager à accorder spontanément à la Russie une charte constitutionnelle ; il fut décidé en même temps que je partirais pour Saint-Pétersbourg, afin de remettre cette lettre à destination et de me faire auprès de l’Empereur l’interprète et l’avocat des conseils qu’elle renfermait. Mais le voyage à Saint-Pétersbourg était alors tout un problème : la voie de terre était rendue impraticable par la grève des chemins de fer, et il n’y avait pas de communications directes par mer entre le Danemark et la Russie. Sur la prière du roi Frédéric, la Compagnie danoise de l’Est Asiatique mit à ma disposition un de ses navires de commerce, le Saint-Thomas, qui venait de décharger sa cargaison dans le port de Copenhague ; je pus ainsi m’embarquer directement pour Saint-Pétersbourg. Mon voyage fut rapide, sinon agréable, le Saint-Thomas étant délesté et la mer Baltique dans cette saison fort mauvaise.

Lorsque j’arrivai à Saint-Pétersbourg, la crise atteignait son point critique. L’Empereur s’était décidé à octroyer une Constitution à son peuple ; en conséquence, le comte Witte était nommé président du premier Cabinet constitutionnel et s’appliquait à jeter les bases de la nouvelle organisation de l’Empire. Il commençait ce rude labeur en convoquant à Saint-Pétersbourg les principaux représentants des partis libéral et libéral modéré qui se trouvaient réunis à Moscou et sur le concours desquels il comptait pour l’aider dans l’accomplissement de sa tâche. Parmi ceux-ci se trouvaient les princes Lvoff (plus tard chef du premier gouvernement provisoire en 1917), Ouroussoff et Troubetzkoy, Mme Goutchkoff, Stakhovitch, Roditcheff, Kokoschkine (assassiné depuis dans sa prison par les bolcheviks en 1918), etc. Le but du comte Witte était d’élaborer avec eux un programme de gouvernement et de persuader quelques-uns d’entre eux de faire partie de son