Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/472

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

essentiellement Parisien. Il fonde le Badaud de Paris puis le Monde Parisien. Au Gaulois, il écrit la Bêtise parisienne. Le rude chasseur qu’est M. de Curel considère de loin ces écrits singuliers. Quand il lui arrive de les contrôler avec sa propre expérience, il s’étonne. Hervieu écrit, en vrai citadin, que dans notre pays les animaux les plus dangereux sont le rat d’égout, le dindon de basse-cour et le homard cru. « Jugement, note M. de Curel, d’un homme qui n’a jamais pris ses jambes à son cou, ayant un gros sanglier à ses trousses. » Quand Hervieu parle des tortures secrètes des gens du monde, M. de Curel sent s’éveiller sa défiance lorraine. « Sur leurs visages, dit Hervieu, je lis l’angoisse secrète du jeune Spartiate qu’une bête dévore sous sa robe et je t’assure que cette lecture est de celles qui attachent au sujet. » M. de Curel avoue qu’il reste sceptique. — Hervieu croit que l’armature solide de la société est l’argent. Quand les tempêtes la secouent, l’armature apparaît. Ici M. de Curel est nettement en opposition avec lui. Il le dit dans un passage magnifique : « J’ai vu se déchirer l’étoffe des sentiments… et au lieu de constater qu’une armature de métal était seule à empêcher les deux parties d’un ménage de se désunir, j’ai aperçu que des restes de scrupules, des lambeaux de principes et des ombres de souvenirs étaient le lien suprême des âmes orageuses. »

Ces premiers écrits d’Hervieu contiennent le principe des ouvrages qui vont suivre. Ce principe, c’est le goût qu’il a pour cette qualité de femme « dont le seul but, le seul rôle, la seule pensée est d’avoir à plaire et de vouloir incomparablement plaire. » Et M. de Curel enchaîne : cette créature de luxe n’a pas dans notre étal social une indépendance comparable à celle de l’homme. La tendance du théâtre d’Hervieu va être d’arracher la « dame comme il faut » à la loi du plus fort, et d’établir entre les époux un régime équitable. Et M. de Curel redevient méfiant. Il s’aperçoit qu’Hervieu, maître des données de son théâtre, n’hésite pas à arranger les faits pour les contraindre à le servir, et avec lui le sexe dont il s’est constitué le vengeur. « Alors que ses personnages masculins sont odieux avec acharnement, il présente les femmes comme de charmantes épaves ballottées par l’indomptable flot des passions. » Tourmentées par l’instinct d’aimer, elles lui obéissent comme à un devoir. Car l’instinct est le premier et le dernier des dieux. Non seulement les femmes, en lui obéissant, ont le droit d’aimer malgré des maris contrariants, mais la mère, poussée aussi par l’instinct, est innocente de tuer sa propre mère pour sauver sa fille. Par cette vue simple et profonde, M. de Curel découvre la liaison entre la Course du Flambeau