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Rome, le lui avaient fait soupçonner, mais elle avait été longue à en trouver la trace et elle était littéralement sur les dents lorsqu’une dénonciation formelle lui livra les conspirateurs, le 13 mars, au jour anniversaire de l’assassinat d’Alexandre II et un dimanche. L’Empereur devait assister aux offices religieux à l’église de la Forteresse. Sur la, route qu’il devait parcourir on arrêta six jeunes gens porteurs d’engins de dynamite. A leur insu, ils étaient filés depuis quelques jours ; la police les avait vus se promener portant leurs engins sous le bras. L’un de ces engins- avait la forme d’un livre relié avec cette inscription sur sa couverture : Code des lois. On les avait vus aussi compter le nombre de (tas qu’ils devraient faire au moment de lancer leurs projectiles. On avait conclu de ces imprudences qu’ils étaient des débutants dans le métier de conspirateurs et qu’assurément ils avaient des complices dans l’entourage de la cour, car, au jour et à l’heure qu’ils avaient choisis pour accomplir leur forfait, l’Empereur allait quitter le palais Anitchkof pour se rendre à la cathédrale.

Ils l’attendaient au passage en trois endroits différents, mais, avant qu’il ne passât, chacun d’eux était arrêté en des conditions qui rendaient impossible toute résistance. Si leur entreprise avait réussi, Alexandre III n’aurait pas été frappé seul, car il avait le grand-duc héritier Nicolas dans sa voiture. D’ailleurs, il ne connut la nouvelle qu’à son retour de l’église. L’Impératrice était restée à Gatchina et c’est par lui qu’elle fut avertie du péril que venaient de courir le père et le fils. Du procès qui suivit et où figuraient seize accusés, dont trois femmes, nous ne retiendrons que deux faits : le premier, sept condamnations à mort ; le second, l’effroi et la douleur dont la famille impériale fut saisie et qui eurent pour effet de l’éloigner de nouveau de la capitale. C’est le moment où elle devient à peu près invisible pour les habitants de Saint-Pétersbourg et où elle est gardée à Gatchina par un cordon de factionnaires placés de deux cents mètres en deux cents mètres.

Pour conjurer le mauvais effet que l’éloignement des souverains produit sur l’opinion, les familiers de la cour rappellent les habitudes de l’Empereur ; il aime à disparaître, à vivre parfois à l’écart des affaires, à parcourir sur son yacht les côtes de Finlande avec sa femme et ses enfants ; en ces instants, tout est suspendu, les ministres ne sachant où le prendre et