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était entendu que le baron de Mohrenheim rejoindrait le poste qu’il n’avait quitté qu’à regret et auquel il avait hâte de retourner. Lorsque le comte d’Ormesson eut à s’entretenir avec Giers de cette question, il lui demanda tout d’abord si l’Empereur tenait à ce que l’ambassadeur qui serait accrédité auprès de lui fut un militaire.

« Nullement, déclara Giers ; les généraux Le Flô, Chanzy et Appert ont laissé ici de trop bons souvenirs, et Le Flô notamment, pour que Sa Majesté n’accueille pas en toute confiance un ambassadeur soldat. Je dois même vous dire que, si votre gouvernement était du même avis, l’Empereur serait heureux qu’on lui envoyât l’amiral Jauréguiberry. Sa Majesté s’intéresse passionnément aux choses de la marine, et il lui serait agréable d’avoir auprès d’elle un marin français. Mais, dans l’espèce, ce désir est conditionnel et ne constitue pas une préférence. Je vais même plus loin et, si nous avions à décider nous-mêmes, c’est sur un civil que se porterait notre choix. »

La déclaration était assez nette pour déterminer celui du Cabinet de Paris. Il fit choix de Paul de Laboulaye qui était alors ambassadeur de France à Madrid. Ce diplomate devait jouer à Saint-Pétersbourg un rôle si important qu’il est juste de dire qu’il a été l’artisan principal de l’alliance franco-russe, secondé d’ailleurs, il faut le reconnaître, par M. Flourens lorsque celui-ci fut devenu ministre des Affaires étrangères. Depuis cette époque, plusieurs de nos hommes d’Etat ont revendiqué le mérite d’avoir été les plus ardents à vouloir cette alliance. Le rôle du. Président Carnot, celui de Mme de Freycinet et Ribot et enfin celui du marquis de Montebello qui remplaça à Saint-Pétersbourg Paul de Laboulaye ont été considérables. Mais ces hommes éminents furent les ouvriers de la deuxième heure, et c’est Laboulaye qui leur avait préparé le terrain où le succès les attendait.

Au moment où il était rappelé de Madrid et désigné pour aller occuper en Russie la place laissée vacante par le général Appert, personne à Paris parmi les hommes politiques n’envisageait l’éventualité d’une alliance ferme avec la Russie. En 1875, le maréchal de Mac Mahon, le duc Decazes, le duc de Broglie, le comte de Chaudordy, l’avaient considérée comme nécessaire à l’équilibre européen. Mais leurs successeurs étaient encore loin d’y croire, et c’est du côté de l’Angleterre que le