Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

présenté. Dans la première de ces entrevues, les deux interlocuteurs s’étaient bornés à un échange de compliments et de banalités sur la politique générale, mais, dans la seconde, le chargé d’affaires avait fait allusion à l’objet de sa mission, et la réponse qu’il avait reçue lui prouvait que, tout en s’enfermant dans les limites de ses instructions, il pourrait être conduit par les circonstances plus loin qu’on ne le lui ordonnait et à prendre l’initiative d’une démarche plus accentuée que celle qui lui était prescrite. Il ne craignait pas les responsabilités. Un peu plus tard, il ne regrettera pas de les avoir assumées lorsqu’il entendra dans la bouche de Giers ces paroles qui font prévoir le succès à une échéance plus ou moins lointaine : « Attendez, patientez ; lorsqu’il sera temps, je vous ferai signe. »

En attendant mieux, M. d’Ormesson n’avait qu’à observer ce qui se passait autour de lui. Bientôt il était frappé par ce qu’il appelait la triple tendance du gouvernement impérial. En première ligne, c’était celle de l’Empereur, laquelle témoignait d’un mécontentement marqué, résultat de la tournure qu’avait prise la politique intérieure de la France. L’autre tendance était celle de ses conseillers, Giers entre autres. Ils souhaitaient l’apaisement et les bonnes relations avec la France aussi bien qu’avec l’Allemagne. Il y avait enfin celle d’une fraction considérable de la nation dont la presse, obligée à la soumission quant aux questions intérieures, mais beaucoup plus libre pour discuter la politique étrangère, se faisait l’interprète.

Dans ces milieux, l’arrivée du général Boulanger au ministère de la Guerre était considérée comme la preuve que la France songeait à une prochaine revanche et on le constatait avec une évidente satisfaction en multipliant des encouragements et des avances. Si les événements se compliquaient en Orient et si quelque incident surgissait du côté de la Bulgarie, suscitant de nouvelles difficultés avec l’Allemagne, la raison d’État l’emporterait dans les dispositions de l’Empereur : le besoin d’un rapprochement avec la France se ferait sentir et ce rapprochement se manifesterait par une reprise des relations diplomatiques nouvelles. Du reste, il n’était pas impossible qu’en dehors même de cette éventualité, les conseillers de l’Empereur l’amenassent doucement au même résultat ; mais, pour le moment, toute invitation, toute ouverture serait prématurée,