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y être parvenu lorsque l’affaire d’Orléans rendit inutiles les efforts auxquels il s’était livré. Le devoir du chargé d’affaires de France l’obligeait à faire part à son gouvernement de ce qu’il voyait et de ce qui lui était dit.

Le premier mouvement de M. de Freycinet, ministre des Affaires étrangères, fut un mouvement de révolte qu’il est aisé de comprendre et que tout autre à sa place eût subi comme lui. Dans sa réponse, il rendait hommage aux efforts cordiaux de Giers et, sans méconnaître la sympathie manifestée par le ministre russe pour notre pays, il déclarait ne pouvoir accepter son point de vue. Les griefs allégués étaient des faits d’ordre purement intérieur ne concernant que le gouvernement français et ne pouvant donner à aucun cabinet étranger le droit de modifier son attitude vis-à-vis de nous. C’était la sagesse même ; mais par quel malentendu, par quelle interprétation dépourvue de fondement, le ministre français en arriva-t-il à considérer le langage que lui tenait son subordonné comme la manifestation des sentiments de celui-ci et comme un témoignage du contentement involontaire qu’il éprouvait à se faire l’organe de l’opinion de l’Empereur ? M. Ternaux-Compans ne méritait pas ce soupçon.

Pendant l’absence de Giers, dans ses conversations avec Vlangaly, il n’avait pas cessé d’essayer de leur faire comprendre le danger que créerait la prolongation de ces malheureux incidents et de soutenir que le rappel du général Appert, qui en était l’origine, n’avait été motivé que par des raisons dont un ministre des Affaires étrangères était et devait rester seul juge. Il avait invoqué de nombreux précédents, entre autres celui du prince Orloff qui, malgré les sympathies dont il était entouré à Paris, avait été subitement déplacé pour être envoyé à Berlin. Il avait enfin objecté à son interlocuteur que, si le Tsar maintenait sa décision, il se couperait pour ainsi dire toute retraite et que si l’avenir lui ouvrait les yeux, il lui serait bien difficile de changer d’attitude sans donner à la reprise des relations une importance qui fournirait à l’Allemagne l’occasion de s’alarmer… Il considérait donc comme impérieusement nécessaire d’en finir au plus vite, ne serait-ce que pour éviter une interpellation dans le Parlement français qui devait se réunir sous peu de jours. Vlangaly lui avait donné raison, mais avoué en même temps que les conseillers de l’Empereur ne pouvaient rien