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Michel, lançait pour sa part dans le pays de nombreuses publications, malgré les termes menaçants d’un arrêté boche fulminant des peines sévères contre les auteurs, imprimeurs, distributeurs d’imprimés non censurés. Ce n’était pas pour l’effrayer, pas plus d’ailleurs que d’autres braves citoyens qui se livraient à la propagande des prohibés. Notre admirable Cardinal avait dès le début de l’occupation, publié sa première pastorale : Endurance et Patriotisme dont il faut tout admirer, et le zèle apostolique, et l’audace civique, et la magnifique tenue littéraire. L’autorité allemande, s’étant ruée avec rage sur un document de si haute portée, en avait interdit la lecture dans les églises. La presse clandestine se chargea d’imprimer cette lettre historique et nos amis la distribuèrent par milliers d’exemplaires pour le plus grand réconfort des âmes. Le Père Dubar s’en donnait à cœur joie et son imprimeur M. Allaer, un brave s’il en fut, ne chômait pas. Le religieux nourrissait l’idée de lancer une espèce de revue où il pourrait périodiquement réunir toutes les nouveautés subversives.

En ce temps-là, un vieux journaliste âgé de 74 ans, Victor Jourdain, directeur du Patriote, rêvait lui aussi de créer un journal. Il y était d’autant plus décidé que précisément, sur le fumier de la Kultur allemande largement arrosé par la Kommandantur, toute une végétation de feuilles empoisonnées avait poussé : le Quotidien, le Bruxellois, la Belgique, etc. qui distillaient sournoisement des idées de défaitisme, de soumission aux Boches et même d’admiration pour les vainqueurs.

Il fallait réagir.

Victor Jourdain n’hésita plus. Il avait sous la main son gendre, homme encore jeune, très actif, Eugène Van Doren, tout taillé pour la besogne matérielle. Il consulta un jésuite de ses amis, le Père Paquet, homme de bon conseil, d’esprit très fin, d’un patriotisme ardent. Après quelques minutes d’entretien, une décision était prise. Le journal s’appellerait la Libre Belgique. Titre parfait, puisqu’il était un défi et une espérance. Le journal parut, non sans peine. Le succès fut réel. En ville on ne parlait que de ce nouveau venu.

Le titre avait fait fortune ; quelques phrases, sonnant comme des appels de clairon, rappelaient la superbe attitude du roi Albert, du cardinal Mercier, du bourgmestre Max. Et puis, pour un public aimant la plaisanterie, — car rire est le propre de