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2 000 francs de notre monnaie ; sa femme de chambre, en la supposant de bonne tournure, gagnait au plus 200 francs par an ; le reste, — les deux tiers, — était consacré à la toilette et aux dépenses de poche. On avait alors une robe d’étamine pour 140 francs : Mme Scarron aurait pu mettre 260 à 300, prix des bourgeoises simples ; elle aurait eu de la ratine avec cotillon de camelot, orné de bandes de velours ; les souliers étaient très bon marché ; le luxe des beaux jupons ne pouvait l’obérer. Mais de nos jours, avec ses 4 000 francs, elle aurait pu se payer tout autre chose que du « linge uni » et de la grisette d’étamine. Seize ans plus tard, les robes dont la marquise, alors en place à la Cour, faisait présent à sa belle-sœur d’Aubigné, lui revenaient à 1 400 et 1 200 francs.

Pour les classes ouvrières et paysannes, l’entretien semblait d’autant plus lourd que les salaires étaient très bas, par rapport aux vêtements. Aux servantes de ferme à 70 francs par an, — c’était le prix courant sous Louis XVI, — il fallait des prodiges d’économie pour ne pas dépasser en habillement le montant.de leurs gages. Depuis que la machine à coudre, après avoir débuté à 200 tours au temps de l’inventeur Thimonnier, atteint pratiquement la vitesse de 3 500 tours par minute, au lieu des 23 points du travail à la main, le façonnage des étoffes s’est fortement abaissé, tandis que les salaires des deux sexes quintuplaient de 1800 à 1913. Ainsi s’est transformé, pour la moitié féminine du genre humain, le budget de sa toilette ; il se rapproche du luxe. Si ce luxe, dit-on, devient « banal, » tant mieux ; il n’y avait de banal autrefois que la misère.


GEORGES D’AVENEL.