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Cependant les plus riches toilettes du temps de Louis XVI, les robes de cérémonie à 3 000, 5 000 et 7 000 francs, en velours ciselé de fleurs naturelles d’où sortaient des fleurs d’or et d’argent, n’étaient pas plus coûteuses qu’au XVIe siècle, celles par exemple, à 3 500 francs la pièce, confectionnées en 1538 pour les vingt-deux demoiselles d’honneur de la Reine, ou qu’un devant de coite en satin cramoisi, enrichi d’or, de broderies et semé de perles, » à 8 500 francs. Nous avons vu plus haut, par le prix du mètre de tissu, que les étoiles de grand luxe avaient au contraire diminué, du moyen âge aux temps modernes. Que vaudraient-elles aujourd’hui ? L’on pouvait voir à Lyon, il y a quelques années, en cours de fabrication, un lampas fond blanc, orné de fleurs, d’oiseaux et de feuillages en relief. Il coûtait 600 francs le mètre et avait été commandé par une impératrice, qui se proposait d’abord d’en faire un costume et se décida plus tard a l’utiliser simplement en rideau.

Si de pareilles fantaisies sont rares, des articles exceptionnels, — pèlerines de zibeline, voiles en point d’Alençon, — arrivent de nos jours à grossir rapidement le total de notes qui se sont élevées, avant la guerre, chez nos grands couturiers actuels, à 200 000 et 300 000 francs, pour des coquettes richissimes, bien que laides parfois et sur qui les belles robes pleuraient.

Mais ces exceptions n’offrent pas d’intérêt social ; l’innovation de notre temps consiste en ce que la mise soignée, jadis inaccessible au commun peuple, est désormais à la portée de tous. Avec les 2 000 livres par an, — c’est-à-dire 6 500 francs de 1913, — que Mme de Maintenon, alors veuve Scarron, avait pour vivre en 1662, elle « gouvernait si bien ses affaires, dit-elle, qu’elle était toujours honnêtement vêtue, quoique simplement, car ses habits n’étaient que d’étamine du Lude et, avec cette grisette (nom de l’étoffe), du linge uni, bien chaussée, de beaux jupons et après avoir payé sa pension (au couvent où elle vivait) et celle de sa femme de chambre, ainsi que les gages de celle-ci, elle avait encore de l’argent de reste. »

Il est fâcheux que la future épouse de Louis XIV ne nous donne pas le détail de ce budget ; mais nous pouvons aisément le reconstituer d’après les prix analogues qui nous sont connus : la « pension, » — logement et nourriture, — de la maîtresse et de sa servante, dans un couvent parisien ne dépassait pas alors