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qu’exceptionnel, nous explique comment le duc de Nemours en 1645 pouvait devoir à son passementier 21 000 francs pour dentelles d’or et d’argent ; comment en 1375 une robe de la duchesse de Bourgogne en drap d’or semé de paons, se payait 12 500 francs et comment l’ « accoutrement en toile d’argent frangé d’or » que Louis de La Trémoïlle se fait faire en 1514 pour l’entrée du roi lui revenait à 25 000 francs, compris 1 100 francs pour deux chapeaux. Ici la toile d’argent coûta 660 francs le mètre, tandis qu’en général elle ne dépassait pas 200 et qu’il s’en voyait parfois à 35.

Seulement à ce prix-là on n’avait que du « simili, » lequel, en tous les genres, ne date pas d’hier comme on l’entend dire souvent ; mais au contraire est aussi vieux que le goût des hommes pour obtenir à bon marché l’imitation ou l’apparence du luxe et du beau. À la solution de ce problème nos aïeux se sont efforcés autant que nous-mêmes. Ils y étaient seulement moins adroits que nous. Les tissus anciens que nous admirons sont les sortes de choix, à qui leur prix assurait la longévité ; les qualités vulgaires ayant disparu, l’on est porté à croire que les étoiles d’autrefois étaient, dans leur ensemble, supérieures aux nôtres ; or, il n’en est rien. Lorsque nous voyons les rubans de satin cotés 16 fr. le mètre à Saint-Etienne en 1790, tandis qu’il s’en trouve à Boulogne à 2 fr. 1.0 et que les rubans de cravate et d’épaule pour laquais de province se vendent 0 fr. 75 le mètre, nous pouvons supposer que la différence tient à la moindre largeur de ces rubans de livrée. De même lorsqu’il s’agit d’articles de mode, des rubans vendus par les bonnetiers, par l’illustre Perdrigeon au XVIIe siècle : « c’est Perdrigeon tout pur, » dit Madelon, d’un ruban bien choisi, dans les Précieuses Ridicules. Mais quand deux objets d’aspect identique différent du simple au quadruple, nous augurons que l’échelle des qualités comportait jadis autant de degrés qu’aujourd’hui. Ainsi le « cordon bleu, » le grand ruban de l’ordre du Saint-Esprit, coûtait au duc de. Penthièvre (1778) tantôt 14 francs le mètre et tantôt 3 fr. 50 suivant la finesse du tissu. Le ruban ponceau de la Toison d’or, qui se portait au cou « en sautoir, » était plus cher à 13 francs le mètre, puisque plus étroit.

Le bon marché des étoffes de soie est, on le sait, tout moderne : tel satin damassé offert, avant la guerre, à 4 fr. 25 se vendait 10 francs, il y a quarante ans ; tel lamé pour robe,