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sol national en 1840 et seulement 24 000, reconnus les plus propres à cette culture, en 1913. Mais, à cette date, il nous venait de Russie cent millions de kilos au lieu de cent mille il y a soixante-dix ans. Cette profusion de nouvelles matières accessibles par leur prix aux classes les moins fortunées, leur fit abandonner l’usage de textiles plus grossiers dont elles avaient dû se contenter jusqu’alors : tel le chanvre que jadis chaque ménage rural, pour l’entretien de son linge, récoltait sur une surface de quelques ares, à proximité de sa demeure. Dans nombre de cantons, qui comptaient encore en 1820 plusieurs centaines de ces « chenevières, » il ne s’en cultive plus un pied aujourd’hui.

Pour la France entière, de 1840 à 1895, le sol consacré au chanvre s’est réduit des quatre cinquièmes : de 176 000 hectares à 34 000 ; mais, comme seules les terres les plus fertiles, capables de soutenir la concurrence de l’étranger, y demeurent affectées, le rendement n’a diminué que des deux tiers. Avec le chanvre, fût-il mélangé de lin, on obtenait des produits assez grossiers ; la bourgeoisie aisée s’en contentait. De la même toile, qu’elle a fait tisser à façon, une châtelaine du XVIIe, en Poitou, lisse des housses à meubles, une paillasse de lit et six nappes pour sa table.

Le chanvre, français ou exotique, — d’Italie et de Russie, — qui ne peut rivaliser avec le colon et le lin pour la lingerie fine, trouve dans la corderie, les sacs et autres emplois industriels pour lesquels il conservait le privilège de la solidité, des rivaux modernes qui tendent à l’évincer par leur prix inférieur : le jute des Indes, dont l’importation à l’état brut ou manufacturé, commencée en 1850, accrue d’année en année, montait en 1912 à 140 millions de kilos ; l’abara, fibre du bananier textile des Philippines, dénommé à Londres « chanvre de Manille, » qui apparut chez nous lorsque déjà l’Angleterre et les États-Unis en faisaient un large usage et dont nous ; consommions 30 millions de kilos il y a six ans.

L’apport énorme de ces matières anciennes et nouvelles, déduction faite de celles qui servent à l’ameublement, — tapis, couvertures, matelas, tentures, — ou à d’autres industries, et des quantités réexportées sous forme de fils ou de tissus, mettait à la disposition de chaque Français, en 1913, pour les diverses pièces de son costume, y compris ses chaussures et son