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fois plus de lin et six fois plus de laine qu’il y a quatre-vingts ans. Mais l’élevage et la culture évoluèrent sur notre sol : ces moutons que nos pères appelaient des « bêtes à laine » aux XVIIe et XVIIIe siècles, où le kilo de laine brute se vendait 4 francs[1], — de notre monnaie de 1913, — et le mouton sur pied 18 francs, devinrent au contraire des bêtes à viande lorsque, par suite de la baisse de la laine et de la hausse de la viande, le produit de la laine cessa, aux environs de 1850, d’être supérieur au produit de la chair.

Le rapport s’est si bien retourné depuis, que, sur les 310 millions de francs que produisaient annuellement les 21 millions de moutons français, on calculait, au début de notre siècle, que 85 pour 100 de cette somme provenait de la viande et 15 pour 100 seulement de la laine. Le mouton n’était plus le même ; il avait augmenté non seulement de prix, mais de poids ; on recherchait les espèces fortes et précoces. Quant à la laine brute qui valait 3 fr. 20 le kilo en 1820, — ce qui, en monnaie de 1913, équivaudrait après du double, — elle était graduellement tombée à 2 fr. 60 en 1850, à 1 fr. 95 en 1862, à 1 fr. 40 en 1898. En France, où l’effectif de la race ovine a diminué avec les progrès de la culture intensive, il se recueillait, avant la guerre, 20 millions de kilos de laine de moins qu’il y a trente ans, et il s’en exportait 20 millions de plus ; ce qui n’empêchait pas les Français d’avoir accru dans la même période de 60 millions leur consommation intérieure.

Ainsi en fut-il du lin, qui occupait 98 000 hectares de notre

  1. Tous les chiffres antérieurs à l’an 1800, mentionnés dans cet article, sont des chiffres exprimés en monnaie de 1913, dernière année normale avant la guerre. Les monnaies d’autrefois ont été converties toujours en francs intrinsèques de 4 grammes et demi d’argent fin (à 222 francs le kilo), et ces francs intrinsèques ont été traduits en francs de 1913, d’après le pouvoir d’achat de l’argent d’il y a cinq ans.
    Ainsi le chiffre de 4 francs, pour la moyenne des prix de la laine aux XVIIe et XVIIIe siècles, correspond à 1 fr. 60 de cette période où le pouvoir d’achat de l’argent, qui oscilla entre trois et deux fois le nôtre, fut en moyenne deux fois et demie plus grand qu’en 1913. Et cet 1 fr. 60 représente, en poids de monnaie, 1 livre ; parce que la livre tournois, qui valait 2 fr. 57 en 1600, 1 fr. 48 en 1700 et 0 fr. 95 en 1789, peut être estimée en moyenne, pour ces 190 années, à 1 fr. 60 en poids d’argent. De même, pour le mouton sur pied, 18 francs de 1913 signifient, en pouvoir d’achat, 7 fr. 30 des XVIIe et XVIIIe siècles ; lesquels représentent 4 livres 11 sous. Le lecteur trouvera à la page 320 de notre livre, Le Nivellement des jouissances (Flammarion), un tableau des variations de la livre tournois, de 1200 à 1790, en poids et en pouvoir.