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d’une crique écartée, que l’Amérique a établi son École ou, pour employer le terme consacré, son « Académie » navale. On s’explique un pareil choix, quand on connaît le mode de recrutement des élèves. Comme ils sont désignés soit par le Président, soit par le Sénat et par la Chambre, ils proviennent un peu de tous les États, et une bonne moitié d’entre eux se sont voués à la mer, sans l’avoir jamais vue ailleurs que dans leurs songes. Annapolis est l’endroit indiqué pour leur permettre de se familiariser avec elle et de s’initier par degrés au dur apprentissage qu’elle exige. Ils s’y amarinent progressivement, sûrement. Joignez qu’ils n’ont pas à craindre les tentations du dehors. Autour d’eux, c’est le calme absolu. Ils ont, il est vrai, leurs jours de liberté où la vénérable cité assoupie se réveille le plus aimablement du monde pour faire accueil à ses enfants de prédilection, à ses « benjamins ; » mais, dans chaque foyer, ils sont le plus souvent reçus par quelque « ancien, » dont les discours féconds en souvenirs, loin de les distraire des graves préoccupations de leur méfier, les y confirment. Le reste du temps, ils vivent derrière les murs de leur Ecole, comme dans un magnifique couvent.

Entendez un couvent américain, c’est-à-dire dont les portes sont ouvertes à tous. Son parc est un chef-d’œuvre d’espace, de lumière, de beauté. C’était naguère un de mes enchantements d’y flâner dans la solennité du soir et de regarder, à travers la broderie en noir des grandes ramures, les longues pourpres du couchant agoniser sur les eaux. Ma première pensée, sitôt de retour à Annapolis, a été de le revoir ; mais, quand j’ai voulu franchir l’entrée, un des plantons du corps de garde m’a barré la route, en touchant du revers de la main la visière de sa casquette :

— Monsieur, on ne passe pas.

— Ah ! pourquoi ?

— C’est la consigne. Mesure de guerre.

Mes oreilles ne m’ont pas trompé : il a bien dit « de guerre. » Et c’est donc que l’on se risque, même dans les instructions officielles, à le prononcer tout haut, ce vocable tabou ! Mieux encore : on commence à rompre avec les traditions de l’âge pacifique, on inaugure des méthodes défensives, on se précautionne, on se verrouille. Quel signe des temps nouveaux dans le simple geste de ce planton m’arrêtant au seuil de