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Elle n’est pourtant pas absente des pensées. Les hôtes qui nous accueillent éprouvent le besoin de s’excuser du déploiement de pompes profanes à travers lesquelles ils nous promènent.

— Voyez-vous, nous jouissons de notre reste. C’est parce que nous avons conscience des lâches sérieuses qui nous attendent que nous vidons à longs traits les délices de la fête qui va finir.

La matinée du Mardi Gras nous vaut d’être les témoins d’une scène émouvante qui n’était nullement comprise dans le programme de la journée. Comme nous assistons du haut du balcon d’un club à l’entrée triomphale du Roi et de la Reine qu’une galère paralienne a déposés sur le quai du Mississipi, nous percevons soudain, échappées de quelque rue voisine, les vives cadences d’un pas militaire joué par des bugles. La foule aussi a entendu, car elle s’arrête court, hésite un moment, puis, sans plus se soucier du cortège, s’engouffre dans la direction de la sonnerie, en criant :

— Nos soldats ! Nos soldats !

— Gageons, me dit M. W… que ce sont les milices louisianaises, rappelées de la frontière mexicaine.

Et nous nous précipitons nous-mêmes pour les aller voir. Adieu les royautés de Carnaval dans leur parure magnifique, sur leurs chevaux caparaçonnés de pourpre et d’or ! On n’a plus d’yeux que pour un défilé d’hommes en khaki, pas du tout brillants à contempler, mais dont les faces cuites par les flammes du désert n’en rejettent pas moins dans l’ombre tout le clinquant des faux héros de mascarade. M. W… m’a saisi le bras et, d’une voix légèrement altérée :

— N’est-ce pas qu’ils ne feront pas trop piètre figure auprès de vos poilus ?

Il ajoute aussi vite :

— D’ailleurs, la plupart sont de sang français.

Le curé de la cathédrale, lui, est bel et bien un Français de France — et même de Bretagne. Je me rends chez lui, en compagnie du Président de la Société historique de la Louisiane, M. Cussachs, pour lui demander de prêter son concours à la célébration du bi-centenaire. Derrière le Cabildo, jadis la résidence des gouverneurs espagnols, nous enfilons une venelle étroite, flanquée, à gauche, d’une église sans caractère, à droite, d’un monumental hôtel dans le style du dix-huitième siècle,