Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
QUELQUES
GRANDES MINUTES AMÉRICAINES


I. — EN MER

On ne fait pas à l’Amérique sa part. Lorsque ce prestigieux pays vous tient, il ne vous lâche plus. J’ai fourni deux campagnes transatlantiques consécutives, en deux ans : à peine rentré de la seconde, voici que mes amis d’outre-mer me sollicitent d’en entreprendre, sans plus tarder, une troisième.

— Nous vous garantissons, m’affirment-ils, que ce sera la bonne.

Peut-être. Le voyage, en attendant, ne s’annonce pas précisément sous de favorables auspices. Nous sommes à la fin de janvier 1917. L’Allemagne, pour reconnaître à sa manière la patience angélique du président Wilson, vient, paraît-il, de décréter la guerre sous-marine sans restriction. Il subsistait dans son code de meurtre une suprême concession à l’humanité, cette politesse du dernier quart d’heure envers les victimes, qui s’appelait l’avertissement préalable : elle la biffe. Si nous sommes attaqués, nous n’aurons même plus droit au salut de la torpille avant de la recevoir. Bien que ce droit n’ait guère été qu’illusoire dans la pratique, la perspective est plutôt macabre et ne laisse pas de projeter quelque ombre sur le départ.

On ne s’en installe pas moins comme si l’on ne devait plus être dérangé jusqu’à New-York. Chacun se dit sans doute que, les amarres larguées, il n’est que de se confier aveuglément au destin.