Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/290

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les 30 divisions de l’armée von Hutier et les 10 divisions de l’armée von der Marwitz ? Un demi-million d’Allemands se ruent en rase campagne vers Bapaume, vers Péronne, vers Nesle, vers Chauny. L’effort de l’assaillant a porté surtout au point de jonction des lignes britanniques et des lignes françaises : il espère, le front une fois rompu, séparer les deux armées, rejeter les Anglais sur leurs bases, vers le Nord, et se rabattre en direction de l’Ile-de-France, — nach Paris.

Aux mois précédents, il avait été convenu entre nos Alliés et nous que, si l’offensive allemande portait contre eux, des forces françaises, à leur appel, interviendraient en zone britannique. Le commandement français avait considéré plusieurs hypothèses et calculé jusqu’en leur détail, selon ces hypothèses diverses, les modes et moyens d’une telle intervention. Mais les états-majors britanniques avaient estimé qu’elle ne deviendrait vraisemblablement pas nécessaire avant le douzième ou le quinzième jour de la bataille, et l’accord finalement arrêté fixait au sixième jour au plus tôt l’entrée en action des renforts français.

Pourtant, constatant le 21 mars la violence du choc, le Commandement français prend l’initiative d’intervenir aussitôt.

De la région d’Estrées-Saint-Denis, les premiers régiments français s’ébranlent, le 22 mars, à la rescousse. Non loin de Noyon, sous le froid soleil printanier, par la grand’route droite, les lourds camions montent, bondés de nos fantassins, et j’entends encore, j’entendrai toujours l’obsédant roulement des convois, et toujours je reverrai, à travers les nuages de poussière, les mille et mille flammes des jeunes regards calmes, si clairs. Sur cette route, des paroles très belles me revinrent à la pensée, que m’avait dites naguère, dans une sape du secteur de Tahure, le commandant R… du 18e régiment d’infanterie : « Nos hommes vaincront, disait-il ; ils sont ceux entre lesquels on n’a jamais été obligé de trier de quoi former des Stosstruppen et des Sturmbataillone… Et puis, disait-il encore, il y a ce à quoi il faut toujours revenir : ils sont ceux qui tuent et qui meurent pour que meure la guerre ; au combat, leur âme est toute pure. » Dans la lumière, dans la poussière, les camions montent sans fin.

Dès la nuit du 21 au 22 mars, en effet, après entente avec le maréchal sir Douglas Haig, le général Pétain avait prescrit