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cet art ; et c’est pourquoi je pris part au manifeste des Cinq que publia le Figaro et que signèrent Paul Bonnetain, J.-H. Rosny, Lucien Descaves, Gustave Guiches et moi.

J’en avais eu, pour en avoir ouï la lecture, une impression hâtive ; si j’avais eu le temps de réfléchir, peut-être eussé-je demandé à ce qu’on discutât certains termes de l’article, trop direct, trop violent, pas assez respectueux de l’immense effort d’un homme qui remplissait alors le monde de son nom et de ses livres, dont chacun était une bataille d’idées, et joignait au succès d’argent une victoire littéraire… Pressé par les circonstances, j’adhérai sans calculer la portée de mon acte. J’en eus conscience le lendemain, en lisant l’article, — car ce qui est écrit a un autre caractère que ce qu’on entend, — et en jugeant de l’effet produit. Il fut comparable à l’explosion d’une poudrière. Tous les journaux, et de tous les partis, tombèrent avec raison sur nous, nous reprochant une défection blâmable, si nous étions les élèves de Zola, ridicule si, comme il l’affirma dans sa réponse, il nous ignorait. D’autre part, on se réjouissait de ce « lâchage » du naturalisme comme d’un signe de réaction propice et de dégoût tardif, mais justifié. « Quand le bateau sombre, écrivit avec une méchanceté drôle un journaliste, les rats déménagent ! »

Léon Cladel ne me cacha pas qu’il désapprouvait les allusions blessantes et le tour général du manifeste ; Daudet et Goncourt, qu’on suspectait à tort de complicité, et qui n’avaient rien su d’un secret bien gardé, jugèrent, le journal de Goncourt en fait foi, notre article « mal fait, et s’attaquant trop outrageusement à la personne physique de l’auteur. »

Si, dans l’ardeur de ma foi littéraire et l’enivrement d’une lutte où nous étions justement éreintés, je ne perçus pas d’abord combien s’était engagée imprudemment ma responsabilité morale d’écrivain, je dois dire que j’ai, chaque jour davantage, — car je ne parle ici que pour moi, — regretté profondément une attaque qu’aujourd’hui je déclare à nouveau coupable et fâcheuse. Ma conscience en a porté longtemps le remords ; je n’ai pu m’en décharger auprès d’Emile Zola que des années plus tard, lorsque, dans La Débâcle, il dépeignit les charges héroïques de notre père. Je lui écrivis alors, avec mes remerciements, des excuses auxquelles il répondit avec une mâle simplicité qui l’honore grandement,