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La villa de ma mère était à flanc de coteau, plantée dans le haut en verger, avec force prunes et abricots, et dans le bas en jardin : le tout dévalait en pente raide jusqu’à une terrasse sur la route, après laquelle venait une grande plaine, disparue aujourd’hui sous les bâtisses. Des fenêtres du premier étage, Paris au loin se dessinait sur la toile d’horizon du ciel, entre les deux larges portants de ce majestueux décor ; à droite, le petit château de Brimborion ; à gauche, le parc de Saint-Cloud.

Plus d’une fois, Léon Cladel nous y emmena promener, mon frère et moi ; il ne dédaignait pas de s’arrêter devant les ébats des joueurs de boules, discoboles modernes. Ses causeries étaient pleines de curieux souvenirs : il évoquait Baudelaire, Banville, Barbey d’Aurevilly, parlait de Rollinat, que j’eusse pu rencontrer chez lui, et de son étonnante musique impressive : il sautait de là à sa propre enfance, ses années de lutte, avec une verve ardente : il racontait son âpre labeur littéraire, ce mal éloquent du style qui le torturait.

D’autres fois, il conversait chez lui, assis l’hiver au coin de sa cheminée ; l’été, sur la terrasse de son jardin. Des poules venaient picorer entre ses jambes, une chèvre se haussait jusqu’aux branches pendantes ; et de gracieuses adolescentes et un fils robuste entouraient, comme une nichée heureuse, le grand écrivain et sa noble compagne.

C’est chez eux que je vis pour la première fois Catulle Mendès. Il était beau encore, d’un blond métallique ; sa grâce séduisante de lettré passionné, jointe à sa conversation vive, répondait bien à son œuvre d’alors, d’un déluré de soubrette libertine.

Mon frère avait pour amis deux des fils de l’illustre Berthelot, qui devinrent aussi les miens : Daniel et Philippe, le très grand savant et le remarquable diplomate. L’intelligence qui rayonnait de leurs visages, leur supériorité avaient quelque chose de particulièrement attachant. Dans le jeune groupe que formaient ces deux frères, le mien, Camille de Sainte-Croix, le poète Germain-Nouveau, Louis le Cardonnel, quelques autres, Philippe et Daniel Berthelot annonçaient déjà, dans toutes leurs façons d’être, la belle destinée qu’ils devaient remplir, par droit de naissance et de conquête.