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par moi : un Pierrot élégant dans le cynisme, railleur dans la cruauté, à la fois sadique et fantasque, fanfaron et lâche, délibérément pervers, se plaisant au mal pour sa beauté esthétique, artiste et néronien dans l’invention et la perpétration de ses crimes.

Cette plaquette, cela va de soi, resta presque inconnue : je l’envoyai cependant à quelques écrivains. Elle précisa, dès 1882, ce que j’espérais tirer de cet art moribond, à un moment, où, si quelques-uns l’espéraient, personne ne pensait qu’il put vraiment ressusciter.

Par bonheur, le démon noir qui jaillit de l’encrier ne me possède pas moins que son rival. Écrire… savoir écrire ! Et j’ébauche mon premier livre, en le plaçant sous l’invocation de celui à qui je dois tout ; ce sera Mon Père. Je l’écris, ce livre, avec les souvenirs de ma mère, les lettres, si simples et si belles, de notre père, les documents dus à la Biographie que le général Philibert consacra à la mémoire de ce grand compagnon d’armes, son ami. J’écris avec une intime émotion les dernières pages de ce livre un peu jeunet, malhabile et sincère, que l’imprimeur Paul Schmidt édita en un joli volume, avec, pour vignette, un semeur lançant le grain, et la devise, devise que je prends pour mienne et à laquelle je ne crois pas avoir jamais manqué : Labore, non astutia.

Mon premier article, je le dus à Jules Claretie, dans le Temps. Villiers de l’Isle-Adam, à qui j’avais adressé sans le connaître, à titre d’admirateur, Mon Père, me fit la surprise d’une belle page au Figaro. Son romantisme terminait par une audacieuse image : les lions rugissant dans l’ombre aux portes d’Alger ; autant dire les tigres de la jungle à l’octroi de Neuilly. Mon Père, grâce à ces deux parrains inespérés, fut remarqué, puisque, à ma joie vive, le bon Paul Schmidt m’annonça qu’il allait tirer une seconde édition.

Tandis que je rends à mon père cet hommage filial, en y associant dans ma pensée les dix-sept ans de mon frère, voici que, sur l’initiative de la commune de Fresne-en-Woëvre, dans la Meuse, stimulée par le commandant Rogier, une souscription s’est ouverte pour l’érection d’une statue dans ce village, proche de Manheulles où naquit notre père.

Nous pouvions craindre que le nom du héros de Sedan demeurât oublié : l’Empire avait sombré si bas ; tant de faits