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Hélas ! c’était la clôture. Le théâtre de Valvins ne rouvrit pas.

Nous aurons mon frère et moi, plus tard, d’autres tréteaux : à Samois où fut joué le Riquet à la Houppe de Banville ; à Vétheuil, qui vit les Caprices de Marianne ; à Marlotte, où les pièces de notre jeunesse revécurent. Ces jours-là, des spectateurs de marque remplaceront les obscurs villageois d’antan, et notre troupe figurera dans les grands magazines illustrés. Mais ce ne sera plus cela. Car rien ne fut comparable à cette aube radieuse qui illumina, dans la grange embaumée, les tréteaux de notre jeunesse en fleur : l’humble petit théâtre, sur la berge du fleuve.


II. — L’APPRENTISSAGE

Je ne me résignais pas à mon existence d’employé sans avenir. La littérature ne m’offrait aucun débouché, et je n’avais donné encore aucune preuve de mérite. Mais au théâtre, fascinant chaque soir de ses trente-six mille chandelles, de ses tremplins où la comédie et le drame se déroulaient en tirades sonores, tout espoir de réussir comme acteur, voire à l’occasion comme mine, m’était-il interdit ?

Il fallait que mon ambition fût bien forte, car j’osai écrire à Worms pour solliciter une audition. Je revois encore le célèbre sociétaire m’introduisant dans son cabinet de travail. Soigneusement rasé, élégant en une robe de chambre noire de coupe sévère, Worms ressemblait plutôt à un clergyman qu’à un comédien.

Après le récit du Cid qu’il eut la patience d’écouter, il constata que ma voix neutre, sans variations de tonalité, et mon jeu contraint, — je fus détestable ! — ne valaient rien pour la tragédie : le métier théâtral réservait trop de déboires pour qu’on pût y encourager ceux qui n’y témoignaient pas de dispositions exceptionnelles. Après cela, peut-être que dans la comédie… Je pouvais voir son camarade Delaunay…

Sensible à sa courtoisie, j’emportai cette seule certitude de savoir que je ressemblais, parait-il, à un acteur anglais qu’il avait connu.

J’abordai Delaunay, avec une vive curiosité de voir à la ville cet homme de cinquante ans passés qui jouait les blondins de