Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’espérait pas de lendemain pour la pantomime. A peine subsistait-elle encore à Marseille, à Bordeaux ; Rouff, Hacks, Séverin, Mouret, se débattaient contre l’envahissement des ineptes chansons de café-concert, jouaient entre des jongleurs de music-hall et des divas retroussées pour le chahut ou la gigue. Il revenait, de façon intéressante, par bribes, sur Deburau fils, son ancien rival, et sur l’ancêtre, le grand Deburau, cher à Théophile Gautier et à Jules Janin. Il racontait des tournées ; et les misères et les joies du roman comique défilaient avec le charme d’un passé falot. Ce vieillard désabusé avait eu une belle foi : elle ennoblissait l’oubli dans lequel le public ingrat laissait traîner sa fin de vie digne et pauvre.

Il consentit à me voir jouer une scène en costume, se montra indulgent : pour un amateur, ce n’était pas trop mal ! Il rectifia des mouvements, indiqua quelques signes consacrés par le dictionnaire mimique et qui donnaient un aspect bouffe aux situations les plus tragiques. Ainsi l’idée de la mort se traduisait par l’expulsion d’un être avec un coup de pied au derrière, ou par le geste brusque dont on décharge une malle sur le pavé. Le macabre, le terrible, Paul Legrand ne le tolérait qu’accidentel, emporté vite par la fantaisie et le rêve. Et mon Pierrot satanique l’étonna. Il tenait pour le blanc gavroche dont il avait illustré, pendant tant d’années, le type sympathique.

Le costume aussi avait sa tradition ; le nombre des boutons, les plis de la casaque, le serre-tête blanc coiffé d’un serre-tête noir, en velours, et dont la pointe fait « cul de poule, » les souliers de daim à boucle d’acier ; le maquillage enfin, un art de se plâtrer avec du suif ou du blanc gras auquel adhère du blanc de zinc en poudre, plaqué à coups d’un tampon fait de mèches de lampe.

Nous nous quitâmes très bons amis. Il décrocha du mur un petit crayon encadré le représentant : Pierrot qui bée, sourcils relevés et bouche en o, à la vue d’un papillon. Avec une gentillesse touchante, il me força à l’emporter.


La vogue du monologue commençait, Coquelin Cadet n’avait qu’à se montrer pour voir la salle éclater de rire. Pourquoi le monomime n’aurait-il pas sa place ? De loin en