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de Scapin, le maillot rose de Léandre, l’épée de Ruy Blas, le violon du Requiem. Adieu, chandelles ! Les araignées joueront seules sur la scène. Et la poussière de velours pendant des mois tombera. Les lauriers sont coupés, les vendanges sont faites.


A en croire Stéphane Mallarmé, je devais demander des conseils au dernier des grands mimes, à Paul Legrand.

Ce roi des Pierrots sans royauté, vieilli, oublié, venait justement de surgir, tel un revenant, au cours d’une Revue des Variétés, le temps d’apparaître et de s’évanouir dans la coulisse. Il personnifiait mélancoliquement les Funambules expropriés, emportant dans un chariot, auquel il s’attelait, les derniers figurants de la foule : Cassandre et son catarrhe, Arlequin avec sa batte, Colombine en jupe pailletée.

Oserais-je aborder ce glorieux vétéran d’un art presqu’aboli ? Comment jugerait-il ma tentative ? Et daignerait-il m’enseigner sa langue mystérieuse, surtout ces signes conventionnels qui symbolisent, dans le raccourci et le zigzag d’un geste, tel sens concret, telle idée abstraite ? Car je n’échappais pas à cette difficulté. Exprimer une douleur, une ivresse, la gamme des sensations, figurer par l’imitation des objets ou des êtres, me demeurait relativement facile ; mais comment se conjuguaient les verbes de ce perpétuel présent qu’est la pantomime, et leurs nuances ? Comment s’exprimaient ces mots suprêmes : la mort, la vie, l’amour ?

Paul Legrand, d’une écriture enfantine et tremblée, avait consenti à un rendez-vous. Dans un petit appartement de la rue Saint-Lazare, au milieu des couronnes sèches où la gloire des grands succès se résolvait en cendre derrière leurs cadres vitrés, très correct, en redingote, le vieil acteur m’écouta.

Il avait un large visage, un nez proéminent, des yeux vifs, une voix gutturale et rauque, la voix d’un muet qui parlerait quelquefois. Un jeu perpétuel de rides plissait et déplissait sa face de vieux gamin du peuple. Beaucoup de malice et de bonté pétillait dans ce regard d’émerillon, encapuchonné de paupières en cloques.

Il parla du temps que la pantomime se survivait, traquée de théâtre en théâtre ; il évoqua des fantômes d’artistes et des ombres de pièces. A quoi me serviraient des leçons ? Il