Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

délicats, être « le monsieur en habit noir qui, à l’improviste, tire du fourreau ce glaive blanc. »

L’emprise exercée sur moi par cette révélation d’art, tint à ce que dégagent de troublant ces péripéties sans voix, ce rythme des émotions traduites dans un perpétuel silence : angoisse expressive d’êtres qui ne peuvent parler, qui, en se faisant comprendre, ne peuvent tout exprimer, et qu’une inlassable fatalité par cela même poursuit : de là, le pathétique de ce masque où se réfugie la puissance d’une âme convulsée ; de là, l’éloquence de ces mouvements qui, même dans la farce, empruntent au drame on ne sait quoi de saisissant, comme si l’on voyait s’agiter, inanes et véhéments, des somnambules en crise ou des morts ressuscites.

Ces vacances prestigieuses ne virent pas seulement Pierrot tuer sa femme ; elles le virent aussi, meurtrier d’un papillon et harcelé par une armée de papillons vengeurs, les apaiser, violon aux doigts, d’un Requiem expiatoire à l’honneur du disparu. Mallarmé admira ce Requiem d’être, selon les lois de la pantomime, silencieux ; si bien que, par une transposition des sens, on en pouvait voir les ondes sonores, tour à tour légères ou graves, caressantes ou funèbres, frémir comme en un miroir sur les traits de Pierrot.

Ce fut le début de nombreuses pantomimes. Notre public les accueillait avec ferveur ; un frisson courait dans les rangs, dès que Pierrot glissait sur les planches, blanc dans son ample sarreau, rien de noir que le serre-tête et la courbe des sourcils.

Ce succès, qui n’allait pas moins aux vers alertes des pièces imitées de Molière ou de bouffonneries italiennes, justifiait bien ce que devait me dire un jour Banville, qu’il n’est pour intelligent et vivace public que deux sortes de spectateurs : les poètes et le peuple. Mallarmé aussi le prétendait : Un de ses vœux, en ces causeries qui succédaient aux répétitions et où ses aperçus ingénieux résumaient tant d’idées, était que le poète, en des salles immenses, devant des foules attentives, prononçât les phrases lapidaires de l’enseignement esthétique, d’où tout découlait. Seul, le poète sachant, affirmait-il, révéler la beauté, source de vertu parfaite, aux masses.

A notre prière, il écrivait de délicats prologues : tel ce sonnet qui inaugura le théâtre de Valvins, après quelques coups d’archet raclés par notre jeune voisin :