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Et cela est fort bien. Toutefois, trop d’éclectisme nuit. On ne groupe le public qu’autour d’un programme, on n’emporte le succès qu’en créant un courant. Le tort de M. Antoine n’était pas d’avoir une idée, mais de l’avoir mauvaise. Il y aurait beaucoup à faire aujourd’hui pour un théâtre, auquel nous demanderions moins encore d’être libre que d’être nouveau.

La pièce qui nous a été offerte pour entrée de jeu, La Faux, n’est certes pas sans mérite. Elle atteste chez ses auteurs, Mme André Birabeau et Pierre Vellones, un réel sens du théâtre, des qualités de dialogue très distinguées. Mais quel sujet ils ont choisi ! Un jeune homme apprend qu’il est miné par un mal impitoyable, et qu’il lui reste tout juste quelques mois à vivre. Il se dépêche de jouir de ce reste de vie en faisant une noce à tout casser. Finalement, plutôt que d’accepter le sacrifice d’une jeune fille prête à se dévouer pour lui, il se tue. Ce jeune homme est un peu simple. Il n’avait qu’à voir un autre médecin qui aurait eu un autre diagnostic et qui l’aurait rassuré. Et puis nous venons d’en voir tant mourir de beaux jeunes hommes, sains et forts, et qui avaient devant eux un magnifique avenir ! Nous avons dépensé pour eux toute notre émotion et toutes nos larmes : nous n’en avons plus pour ce petit frère de Rolla. Et encore, la maladie, le désenchantement, l’amour et la mort, la débauche et le suicide, il y a du romantisme là-dedans, il y en a trop pour notre goût… Quoi qu’il en soit, nous retiendrons les noms de Mme Birabeau et Vellones : c’est déjà un succès pour eux et pour le théâtre qui leur a permis de se produire en public.


L’Odéon vient de représenter avec succès une très aimable comédie en vers de M. Miguel Zamacoïs : Monsieur Césarin, écrivain public. Nous sommes aux jours heureux de la Restauration, à moins que ce ne soit sous la patriarcale monarchie de Juillet. Il y avait encore en ce temps-là des écrivains publics, et les romans de Balzac en font foi. Il y en a eu bien plus tard que cela, et je me souviens que leurs boutiques n’avaient pas toutes disparu du Paris de mon enfance. Mais ce n’étaient qu’humbles échoppes et qui ne rappelaient que de fort loin le somptueux bureau d’esprit auquel préside M. Césarin. Sa clientèle est faite de tous ceux qui ne savent pas l’orthographe : c’est une belle et nombreuse clientèle. On se rappelle le mot de Mme Cardinal à l’une de ses filles : « Tu vois où ça mène de savoir l’orthographe : à être la femme de chambre ! » Dans la brillante compagnie qui se retrouve chez M. Césarin, le jeune poète