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tout y est en dehors de la vie. On y assiste comme à un jeu difficile et laborieux dont l’auteur aurait multiplié, à plaisir et pour le plaisir, les vaines combinaisons.

Les rôles de Les Sœurs d’amour ne sont pas de ceux qui portent leurs interprètes. Mlle Cerny joue aussi bien que possible le rôle de Frédérique, la précieuse exaspérée et néfaste. Mlle Piérat met une vulgarité voulue et fâcheuse dans la scène d’emportement d’Éveline. Et que vouliez-vous que fit M. Alexandre du triste personnage de Julien ?


Un nouveau Théâtre-Libre vient de se fonder. Ce que nous lui demanderons, avant toute chose, c’est de ne pas ressembler à l’ancien. Non certes que de l’impasse de l’Elysée-des-Beaux-Arts aux hauteurs de Montparnasse et de Montparnasse au boulevard de Strasbourg, le théâtre fondé naguère par M. Antoine n’ait eu une brillante carrière. Même il s’est honoré en jouant certaines pièces, telles que celles de M. de Curel. Il a fait du bruit. Il a eu de l’influence. Mais cette influence a été déplorable. L’atmosphère qui y régnait était celle du naturalisme le plus brutal. La vie y était représentée sous ses aspects les plus désolants ; l’humanité y apparaissait dans ses types les plus repoussants ; le langage était à l’avenant et l’argot des barrières en faisait le meilleur ornement. Pour atteindre plus sûrement quelques conventions en train de mourir de leur belle mort, on déclarait la guerre à toutes les traditions sur lesquelles reposent le métier de l’auteur dramatique et celui de l’acteur. On affirmait, le plus sérieusement du monde, qu’une pièce n’a pas besoin d’être bien faite et même qu’elle gagne à être bâclée. Les acteurs étaient des artistes de rencontre, qui non seulement n’avaient rien appris, mais ne se doutaient même pas qu’ils eussent rien à apprendre. Il fallait entendre comme ils disaient les vers ! Sur tous ces points, hélas ! le Théâtre-Libre a été vraiment un théâtre d’avant-garde : les principales nouveautés auxquelles il avait initié le public se sont réellement répandues sur les autres scènes, il a une large part de responsabilité dans l’abaissement de l’art dramatique à la fin du XIXe siècle. Il a été une tentative, qui n’a que trop réussi, pour livrer la littérature dramatique aux illettrés.

Le nouveau Théâtre-Libre ne s’annonce pas comme devant avoir d’aussi violents partis pris. Son directeur, M. Pierre Veber, ne songe aucunement à révolutionner le théâtre : il ne veut que rendre service aux jeunes auteurs et ne leur demandera que d’avoir du talent.