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Maintenant la pièce est terminée. Nous avons assisté au désastre qu’entraînent toujours un sentiment faux et une situation fausse : peu nous importe comment la vie se chargera de rapprocher les morceaux de ces bonheurs brisés. C’est une idée malencontreuse qu’a eue M. Henry Bataille de nous mettre sous les yeux une sorte d’épilogue, en un quatrième acte forcément un peu vide, et où notre attention n’est pas assez occupée par le drame pour que nous laissions passer, sans les remarquer, quelques détails où ce drame coudoie la comédie. Frédérique a consenti à suivre Julien. Ils arrivent, le soir, dans un coin de Bretagne, où la famille Bocquet possède une masure délabrée. Il y a un lit sur la scène, car Frédérique s’est enfin promise. Julien attend, en jouant du piano, dans la pièce voisine… A cet instant, reparaît le père de Julien ; j’allais dire : le père Duval, car le bonhomme est proche parent du père noble de la Dame aux Camélias. Frédérique a mandé en secret le bon vieillard, ayant besoin de lui pour le dénouement qu’elle prépare depuis plusieurs jours. Si, en effet, elle a suivi Julien et fait semblant d’accéder à ses désirs, au fond d’elle-même elle était bien résolue à se dérober au dernier moment. Ce dernier moment est venu : elle va partir, rejoindre son mari et ses enfants, rentrer au bercail. Ainsi, jusqu’au bout, elle sera restée fidèle à son caractère : elle n’aura pas commis la faute. A la place où Julien espérait l’étreindre, il ne trouvera qu’un bouquet de roses rouges, qu’elle y dépose en manière d’adieu : c’est gentil, mais ce n’est pas la même chose. M. Bocquet père est chargé de le consoler, de lui parler, de lui répéter les dernières paroles, de lui expliquer l’immuable volonté de Frédérique…

Le principal défaut de cette pièce, c’est qu’elle est toute en surface. Ni psychologie, ni étude de milieu. Les personnages nous restent inconnus et nous ne savons à quels mobiles ils obéissent. On a évoqué le souvenir du Lys dans la vallée : à quoi bon écraser une œuvre d’aujourd’hui par la comparaison avec un roman célèbre ? d’autant que l’analogie est des plus lointaines. Pour que Frédérique soit une Mme de Mortsauf, il manque l’atmosphère de Clochegourde et l’hypocondrie de M. de Mortsauf et Mme de Mortsauf elle-même. Dans Le Lys dans la vallée Balzac a voulu faire une étude d’âme, peindre l’ « amour des anges, » et personnifier, en un type qui ne laisse pas d’être larmoyant, l’idéal de maternité amoureuse, alors fort à la mode. Les Sœurs d’amour est une pièce compliquée, où il y a plus de mélodrame que de drame, plus d’agitation que d’action et qui énerve plus qu’elle n’émeut. Personnages, sentiments, situations,