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La vieille dame prétend leur barrer le passage. Il paraît que toute la famille est dans la confidence ; c’est donc qu’il en est dans les mariages mystiques comme dans les autres : les beaux-parents ont entre eux des rapports, et qui ne sont pas toujours des plus cordiaux. Mais voici Frédérique elle-même. Que se passe-t-il et en quoi ce qui se passe dans la vie de Julien peut-il la toucher ? Il n’est que de voir l’air navré de Mme Bocquet mère, bien revenue de sa mauvaise humeur agressive du premier acte, et l’embarras de M. Bocquet père, fort gêné de son rôle, pour comprendre que l’approche d’une catastrophe a seule pu décider ces pauvres gens à une démarche aussi insolite. C’est plus que la vie, c’est l’honneur que Julien est à la veille de perdre. Il a fait la connaissance d’une aventurière, une Mme Teissier, qui le gruge et l’entraîne aux abîmes. Pour subvenir aux dépenses de ce bourreau d’argent, il a. emprunté des sommes qu’il ne peut rembourser. A l’heure qu’il est, il se prépare à fuir à l’étranger. Ce serait la pire des lâchetés, la dernière des hontes. Une seule personne peut le rappeler à lui-même, le sauver, et c’est Frédérique.

Ainsi sollicitée, Frédérique consent à voler au secours de celui qu’en dépit de tout elle n’a pas cessé d’aimer. Elle adresse un pressant appel à Julien qui s’y rend aussitôt. Ils se revoient, et à l’émotion muette qui les étreint dès la première minute, il est facile de deviner que leur passion, dans l’absence et dans la souffrance, n’a pas diminué. De cette pathétique entrevue, sort un pacte nouveau. Pour aller au plus pressé, et Julien ayant besoin de trois cent mille francs, Frédérique se fait fort de les lui trouver. Prêt ou cadeau, d’une femme à un homme, un service d’argent est généralement mal vu ; mais une passion aussi résolument épurée purifie tout. Puis, à l’avenir, au lieu de se tenir à distance, comme elle l’a fait ces quatre malheureuses années, Frédérique se rapprochera de Julien, deviendra, en tout bien tout honneur, son guide et sa conseillère. Elle gagnera et elle méritera l’amitié d’Éveline ; elle veillera sur leur intérieur ; elle sera leur ange gardien…

Cet acte a tenu notre curiosité en haleine : il n’a pas augmenté notre estime à l’endroit de Julien. Pour une fois qu’on nous conte une belle histoire d’amour, nous déplorons que l’un des deux héros soit un personnage si dépourvu de la plus élémentaire délicatesse. Il nous semble d’ailleurs que, sur la pente où glisse ce malheureux, le souvenir d’un pur amour, même accompagné d’une somme rondelette, ne suffirait pas à l’arrêter. Et vraiment ces tripotages d’argent, cette liaison infâme, voilà de bien vilaines affaires pour y mêler