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à trouver en elle la verdeur de langage d’une Mme Jourdain ou d’une Mme Guichard. Mais il eût fallu pour cela que l’auteur fût d’accord avec nous pour lui donner pleinement raison. Or, il semble plutôt d’avis que Mme Bocquet représente l’opinion reçue ou même le préjugé vulgaire en face des délicatesses suréminentes d’une sensibilité distinguée.

Cependant Frédérique s’essaie, quoique mollement, à raisonner Julien. Celui-ci se montre de plus en plus sombre, amer et violent. Il faut qu’il y ait une cause à cette exaspération grandissante. Il y en a une et si imprévue, si extraordinaire, si effarante qu’au moment de la révéler à Frédérique, Julien en est lui-même épouvanté. Cette nouvelle, qui éclate en coup de foudre, c’est celle de son prochain mariage ! Oui, par dépit, par lassitude, il s’est laissé fiancer : il va épouser une jeune fille quelconque, une certaine Eveline, que ses parents sont allés chercher pour lui jusqu’aux Antilles, je crois. De tout notre cœur nous plaignons la future Mme Bocquet jeune : elle ne sera pas heureuse. Et nous ne plaignons pas du tout Frédérique, bien qu’elle donne les signes de la plus folle douleur. Mais quoi ! avait-elle donc condamné à un éternel célibat le jeune homme auquel elle était décidée à se refuser éternellement ? Voulait-elle que Julien entrât dans son amour comme on entre au couvent ? Lui dénier tout ce dont elle est elle-même entourée, un foyer, des enfants, n’est-ce pas de sa part un monstrueux égoïsme ? Les exemples ne sont pas rares de femmes qui ont mis toute leur sollicitude à marier et bien marier leur amant : c’était le cas ou jamais, dans cette sorte d’union éthérée et mystique dont rêve Frédérique. Saint-Évremond parle de ces précieuses qui, trouvant auprès de leurs maris de solides satisfactions, en étaient plus libres pour consacrer leurs pensées les plus sublimées à l’élu de leur cœur. La force des choses voudrait que Frédérique fît choix pour Julien d’une petite oie blanche, quille à s’instituer l’Égérie du jeune ménage, comme elle essaiera tout à l’heure de le devenir, ce qui prouve bien que telle était la logique de la situation. Mais elle n’est pas encore résignée ; elle se désespère : elle en fera une maladie.

C’est sur le second acte que M. Henry Bataille a fait porter son plus grand effort. Cet acte est de toute la pièce le mieux construit et il a produit un réel effet. Quatre ans se sont passés. Frédérique n’a plus revu Julien. Un beau matin, elle reçoit un coup de téléphone de M. Bocquet père, implorant quelques instants d’entretien confidentiel. Elle consent. Aussi quand les parents de Julien arrivent au rendez-vous, sont-ils assez surpris d’y trouver, non Frédérique, mais sa mère.