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logique est capable de vivre, ne sera pas le règne de la justice, car la justice n’est pas une vérité scientifique. » L’homme n’est pas libre : qui le dit ? la biologie. N’étant pas libre, l’homme n’est pas responsable : « Et celui qui prétendrait récompenser ou punir un homme au nom d’un principe métaphysique supérieur ne serait qu’un visionnaire, sympathique sans doute, mais dépourvu de toute raison. Donc, au point de vue du mérite, égalité absolue entre tous les hommes considérés comme individus, mais égalité dans la nullité. Tous ont le même mérite, qui est nul. » Ah ! quel désastre ! Et vous vous lamentez. Le Dantec vous envoie promener, disant qu’il n’y peut rien : « Il y a des vérités scientifiques établies aujourd’hui d’une manière indiscutable et qui servent à démontrer, sans d’ailleurs les remplacer par rien, que les principes sur lesquels repose la conduite ordinaire des hommes sont tous faux. » Que voulez-vous ? Ce n’est pas la faute à Le Dantec. Ce n’est pas sa faute, s’il ne distingue, hélas ! que deux espèces d’hommes, les uns qu’il appelle « les poires » et, les autres, « les effrontés. » La biologie fournit une loi, que l’on résume sous le nom de la loi dite du plus fort ; et voilà tout ce que donne la biologie : et, en dehors de ce que donne la biologie, il n’y a rien, mais rien du tout. « Ce qui est regrettable, ce n’est pas que je l’aie dit. Il est fâcheux surtout que ce soit vrai : je n’y puis rien ! » Le Dantec a-t-il au moins du chagrin de ce qu’il a dit, l’ayant vu ? Le plus souvent, ce travail de démolition forcenée paraît le divertir assez bien. Pourtant, il a écrit : « L’on s’aperçoit, un jour, qu’on est seul, dans les régions où la raison, dépourvue de tout appui, risque de sombrer… » Mais, tout ce qui lui manque, il l’a démoli. Et les vieilles doctrines qu’il a détruites, il les regrette : « Nous qui les combattons, nous éprouvons un grand trouble de ce qu’elles se sont évanouies trop complètement, plus complètement que nous ne l’avions prévu ou souhaité. Notre victoire nous effraye. » Allons, c’est un peu de fatigue ou l’ennui de rester sans ouvrage désormais !…

Le darwinisme, après avoir passé par Hæckel, aboutit à Le Dantec. Et l’on ne refusera pas à Le Dantec la qualité d’un intrépide logicien. Il est allé, sans timidité aucune et sans scrupule, avec un zèle ardent, jusqu’à l’extrémité des corollaires imaginables. Ses conclusions mettent en ruines et en décombres tout ce qui semblait le privilège ou l’honneur de l’humanité, en ruines et en décombres tout ce qui était la sauvegarde à peu près sûre de la société humaine et l’ensemble des sentiments, coutumes et croyances qu’on réunit sous le nom de civilisation. Si le savant n’évite pas cet inconvénient d’une dialectique