Soissons, sous le feu qui ravageait sa cité, a maintenu devant les nouveaux barbares la tradition des grands évêques des Gaules. Chez Mgr Baudrillart, la pensée et l’action s’allient. Il me souvient d’un discours de rentrée qu’il lit à l’Institut catholique et où il avait pris pour texte la parole du Christ, venu pour augmenter la vie sur la terre. Il montra aux étudiants que le christianisme devait féconder l’intelligence. Mgr d’Hulst était un apologiste. Il aimait la métaphysique, « cette vieille muse, dit-il un jour, dont je suis un des derniers amants. » Ce langage voluptueux fut puni par le ciel, et les typographes imprimèrent : « cette vieille mule. » Mgr Baudrillart est un historien, accoutumé à vivre dans le plan de cette terre. Dans les conseils de l’Institut catholique, je l’ai vu interroger, recueillir les avis, écouter. La lucidité de l’esprit, l’art de mener la discussion au but, étaient admirables. Dans son cours d’histoire, la même clarté et cette possession du sujet qui permet de l’ordonner étaient pour les étudiants un exemple autant qu’un enseignement. Il réfléchit, mais je ne crois pas qu’il soit sujet à hésiter. A la manière de ceux qui ont accoutumé de faire des enquêtes parmi les textes, il s’instruit soigneusement, impartialement, et il va à la vérité. Il lui est arrivé de changer d’avis cap pour cap. Il le raconte au début de son volume sur Quatre cents ans de Concordat. Quand il commença l’étude de ce sujet, il était partisan de la séparation ; quand il l’acheva, il était partisan des Concordats. Tout le livre est un modèle de discussion claire, serrée intelligente. Il part des faits comme base : il les classe, les examine, et si l’un d’eux lui semble une pierre pourrie, il le rejette : « Je passe, » écrit-il, et il s’en va en éprouver un autre. Il construit ainsi un édifice robuste et logique.
Je le revois, dans son cabinet de travail de l’Institut catholique, assis près de la cheminée. Il croise les jambes, il rabat sa soutane, il réfléchit. Les plis de la bouche sont ceux de l’orateur ; mais sous la chair, la mâchoire solide trahit la volonté. Il lève tout à coup les yeux sur vous et vous êtes surpris de ce regard droit et lumineux. Il voit terriblement clair. Au moment des « cultuelles, » il reconnut presque seul que Rome ne les approuverait pas. Presque tout ce qu’il y avait d’intelligent dans le monde catholique, dont vingt-trois académiciens, les « cardinaux verts, » était d’avis de les fonder. Je ne sais si Mgr Baudrillart lui-même en était partisan, mais il vit nettement qu’elles seraient interdites par le Saint-Siège.
Je ne crois pas que Mgr Baudrillart ait beaucoup d’illusions sur les hommes, mais il parle d’eux avec une netteté allègre, qui n’est