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d’être surpris par les Anglais, qui ne sont pas compris en forme dans l’armistice. Les tractations bourguignonnes destinées à prolonger la trêve ne subissent-elles pas elles-mêmes, en ce moment, un temps d’arrêt quelconque ? Peut-être bien aussi. Toujours est-il que l’armée se retourne et reprend la direction délaissée. Elle repasse à Château-Thierry et se retrouve à portée de la vallée de l’Aisne, vers son débouché dans l’Oise. Elle est à Compiègne, trois jours après la mi-août, en ayant mis près de vingt-cinq, — et vingt-cinq de quel prix ! — pour s’y rendre de Soissons qui n’en est pas à dix lieues.

Les négociateurs n’ont pas disparu. La démonstration sur Paris s’organise pendant qu’ils discutent et sont près d’aboutir. Quand Jeanne, plus anxieuse que jamais au bord suprême de son œuvre, arrive par Senlis s’installer à Saint-Denis, avec le duc d’Alençon, fidèle et généreux compagnon de ses peines, décidé avec elle à l’action, le traité se précise et s’achève. Il vicie d’avance, à sa base, tout effort sur l’objectif essentiel, sur Paris nécessaire.

Cet armistice de Compiègne, continuant ou ressuscitait la suspension d’armes dont la conclusion a motivé la retraite de Soissons, en tout cas la développant et l’aggravant avec méthode au désavantage d’un des contractants, mettait savamment sur pied la plus tortueuse des comédies. Conclu pour quatre mois, jusqu’à Noël, et renouvelable, il ne valait qu’entre le roi et le duc de Bourgogne[1] : les Anglais y avaient libre accès, mais leur signature ne s’y lisait pas ; elle ne devait jamais y figurer. Le roi de France s’interdisait toute agression contre les possessions bourguignonnes, et spécialement contre les villes de Picardie, prèles à se donner comme viennent de le faire Senlis et Beauvais. Mais, en ce qui concerne Paris, Paris possession anglaise, le duc se réserve le droit d’y combattre à côté de ses alliés, de les soutenir et de les renforcer. Pitoyable transaction française. Le roi se laisse arracher les armes, partout où la fortune s’offre à lui ; il ne conserve le droit de s’en servir que sur le point le mieux défendu contre lui ; Le Bourguignon, garanti sur sa ligne faible, garde pouvoir de faire masse de ses forces sur la position décisive. Pacte de dupe, de démence ou de trahison.

  1. Le portrait de Philippe le Bon, entre autres, a été tracé par M. Gabriel Hanotaux avec un relief sans précédent.