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du combattant, Mais, d’autre part, elle a senti bien vite qu’elle se heurte à un barrage sournois. Elle a contre elle, et contre les projets dont elle se déclare l’instrument, tout un groupe d’influences et d’intérêts dont la place est grosse et le poids considérable dans les conseils du Roi.

C’est le groupe qui pourrait s’intituler le « groupe de Bourges. » Il rassemble fatalement tous ceux que la victoire dérange, astreint à des conceptions nouvelles, forcerait à s’engager à fond contre le parti de Bourgogne, oblige à envisager un royaume agrandi qui va retrouver ses limites de jadis et ne plus garder la Loire pour frontière, avec le Berri pour Ile-de-France. Il était si commode de demeurer sans programme offensif devant le Bourguignon et l’Anglais ! On s’habituait si bien à se passer de Paris, de la Champagne, des Picards et des Normands ! Depuis cinq ans, depuis le naufrage de Verneuil, quelle politique s’imposait ? Se maintenir en s’effaçant, et surtout ne rien entreprendre. On vivait ainsi, au jour le jour. Les Anglais avaient tout gâté par leur siège d’Orléans. Cette jeune Pucelle était venue à point, des Marches de Lorraine, pour écarter ce péril imprévu. L’alarme avait été chaude. Il convenait aujourd’hui de se tenir tranquilles et satisfaits. Une campagne de Reims ! Une offensive outre Loire ! Une entrée en Champagne ! Divagation, sottise, aventure et folie !

Le premier personnage du royaume, le chancelier, est le chef avoué de ce parti. C’est un fidèle des mauvais jours, mais englué dans l’illusion de la paix diplomatique. Archevêque de Reims, il n’avait pas revu, depuis onze ans, sa ville ducale ni son diocèse. Il semblait avoir horreur d’y rentrer. Toujours il traversa les desseins de la Pucelle. Il essaye d’empêcher le départ pour le Sacre, réclame ouvertement, dès Troyes, la retraite immédiate : il arrange devant Paris l’armistice fatal. La lettre où il parle avec soulagement de la capture de Jeanne à Compiègne est affligeante et noire.

Un autre personnage, plus près encore de la personne du prince, partage ces points de vue. C’est l’homme des accointances bourguignonnes, l’homme habile qui sait trouver de l’argent, l’homme qui possède à toute heure ses entrées chez le Roi. Le grand chambellan, Georges de la Trémoïlle, familier du souverain, subtil en ressources, indispensable et nécessaire, ne voit de salut que dans quoique arrangement à conclure avec