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avouer ou se taire, ses voix s’en remettaient à elle. Ses projets avaient dû filtrer néanmoins[1].

Sinon près de ses proches, et de manière directe, au moins près d’autres gens du pays, par voie détournée. Dès la veille de la Saint-Jean, elle avait dit à Michel Lebuin, jeune homme de son âge : « Entre Vaucouleurs et Coussey, il est une jeune fille, l’an prochain, qui fera sacrer le roi de France. » Elle disait pareillement à Jean Watrin, de la même génération, qu’elle « relèverait le sang royal. » Et à Gérardin d’Epinal, le seul habitant du village qui fût attaché au parti de Bourgogne : « Compère, si vous n’étiez bourguignon, je vous confierais quelque chose. » Ses parents, probablement, ripostaient par allusions, plus ou moins transparentes et maladroites. Ainsi peuvent seulement s’expliquer les propos de son père, du moins tels qu’ils sont rapportés, racontant, pour que la chose lui fût redite à elle, qu’il avait vu en rêve sa fille s’en aller avec des hommes d’armes, et assurant qu’il la préférerait morte de ses mains que courant telle aventure. Quoi qu’il en soit, elle partait, gardant pour elle, cela semble avéré, son étouffant secret. Elle a formulé la chose en trois mots. « Dieu le commandait : il le convenait faire. »

Deux personnes, toutefois, étaient dans la confidence totale, un homme simple et droit, une femme compatissante. Leur cœur comprit ce cœur, et leur pitié cette angoisse. Ils se portèrent à son secours et la soulagèrent de sa croix.

On doit immensément à Jeanne Le Vauseul, cousine germaine de Jeanne d’Arc, — leurs mères étaient sœurs, — et à Durand Lassois son mari[2]. Ils ont appuyé, soutenu, réconforté Jeanne en ses heures les plus délicates. Son œuvre est leur œuvre. Il faut s’en souvenir et le marquer.

Ils habitaient Burey-en-Vaux, alors appelé Burey-le-Petit, village du val de Meuse, entre Domremy et Vaucouleurs, à quatre lieues et demie de la maison de Jacques d’Arc, à une lieue de la place forte. Durand Lassois, cultivateur, a dépassé la trentaine. Sa femme va Être mère. Tous trois arrangent ainsi les choses. Les Lassois demanderont à prendre Jeanne chez eux, pour quelque temps, afin qu’elle aide sa cousine aux soins de la

  1. Pour ce qui suit, textes du Procès, et déductions tirées d’eux.
  2. Pour cette parenté, Enquêtes et Recherches de MM. de Bouteiller et de Braux sur la Famille de Jeanne d’Arc.