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contrée. Le bois de chênes, — le Bois Chesnu, — par analogie purement verbale et accidentelle avec le Bois Chenu, — le bois antique, — nommé dans une prophétie attribuée à l’enchanteur Merlin, et qui fut alors longuement commentée, eut cette fortune singulière de servir à propager avec prestige la foi dans la mission de la Pucelle, à peine arrivait-elle à Chinon. La petite chapelle offrait son porche à la halle ou bien au signe de croix du passant. Les fontaines s’épanchaient libres dans leurs creux naturels. Il semble y en avoir eu deux. L’une s’appelait la Fontaine des Fièvres, car les visiteurs étaient sûrs de la vertu de ses eaux. L’autre portait un vieux nom de terroir : c’était la Fontaine aux Bains : elle s’encadrait de buissons bas, chargés de fleurs verdâtres ou de petites baies noires, cette sorte d’arbuste à défense épineuse que le langage vulgaire connaît ailleurs sous le vocable de nerprun et qui baptise sous d’autres cieux une porte tragique de Tolède. Mais la plus belle chose de la côte était l’arbre, orgueil du paysage. Il montait droit comme lis, dit un témoignage évocateur. Les branches, de leur première couronne, retombaient jusqu’à terre, lui donnant l’apparence d’une immense cloche verte appuyée sur le sol. C’était un hêtre isolé, gigantesque et merveilleux. On le nommait l’Arbre aux Fées, et même l’Arbre aux Dames, parce que les Fées, qui venaient jadis errer sous la protection de ses ramures, étaient de hautes puissances dont il ne convenait pas de parler sans respect.

Une autre voie gravissait les côtes de Meuse, en sens inverse, vers le Nord, par une montée biaise pareille à celle du bel arbre et celle du bois de chênes. Il fallait, pour la prendre, pousser d’abord jusqu’à Greux, bourgade jumelle de Domremy sur la même rive occidentale du fleuve. L’église et les dernières maisons dépassées, le chemin s’élevait peu à peu sur la pente où se découpaient les bois. Là encore se montrait une chapelle et jaillissait une source. Notre-Dame de Belmont, — Notre-Dame de Bermont, selon le dialecte indigène, — et la Fontaine de Saint-Thiébaud, voisines et engageantes, composaient un lieu de pèlerinage que la tradition consacrait.

Dans tout ce canton, par les champs, les sentiers, les prairies et les bois, Jeanne, dans ses premières années, libres et sans contrainte, avec les compagnes de son âge, avait conduit ses pas insouciants et ses jeux. En belle saison, on dansait et