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L’enfant bouleversée se ressaisit peu à peu. Quand elle regagne la maison, rien ne paraît sur son visage. Pourtant, elle est marquée pour l’œuvre ; en elle le sacrifice et le martyre déjà sont en germe. Et d’elle, à ce retour du jardin, après ce dialogue éblouissant, ne peut-on pas dire, en transposant le nom de l’archange : Sumens illud Ave — Michaëlis ore.

Bientôt, en des lieux que rien cette fois ne signale plus, les visions et les voix ont pris force et fréquence. L’enfant réalise maintenant que l’être surnaturel dont elle saisit les paroles, et qu’elle voit matériellement de ses yeux, est monseigneur saint Michel, archange et prince, celui qui patronne le duché de Bar dont la frontière coupe en deux le village même de Domremy, celui qu’on vénère aussi, bien loin des marches de Lorraine, dans une île périlleuse que le flot de la mer permet au pèlerin de gagner à pied sec par les sables. Il lui annonce qu’elle entendra bientôt deux autres voix, deux voix de femmes sanctifiées, sainte Catherine et sainte Marguerite. Et c’est alors qu’il commence à parler de l’œuvre qui l’attend, pour quoi elle est élue et choisie, la Rédemption du pays de France.

Tout cet effroyable secret, une enfant grandissante le porte en elle. Il l’opprime et l’obsède. Elle le garde néanmoins jalousement, pour elle, pour elle seule. La plus délicate et la plus fière sensibilité la gouverne. Elle commettrait une trahison, si elle divulguait à qui que ce soit ces entretiens merveilleux qui l’exaltent. Elle continue sa vie de tous les jours, dans son cadre simple et doux. Le silence est un devoir qui l’écrase. Il accable sa jeunesse. Mais son honneur est en cause. Et c’est dans le cœur des jeunes qu’habite la conception la plus aiguë de l’honneur.


LA CÔTE DE GRACE

Sur la colline qui borde la Meuse, au-dessus du village et de l’église, Jeanne affectionnait deux groupes de sites[1].

Un chemin montait de Domremy, en pente douce et tirant vers le Sud, qui menait a un bois de chênes, à une chapelle solitaire, a dus sources et à un bel arbre, célèbre dans la

  1. Ce qui suit est lire des textes du Procès et de l’examen des lieux, comparés avec les précieux renseignements contenus dans l’Histoire abrégée de Jeanne d’Arc, de Prosper Jollois (in-folio. 1821).