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le remplissait tout entier. On se le figure, ce jardin, comme plus d’un jardin pareil. Des carrés longs de terreau noir, plantés de choses rustiques et nourricières. Des sentiers entre les planches de culture. Des arbres cà et là. Peut-être, au milieu, un passage plus large, avec des fleurs en touffes. Au cours de l’été, montant droits du sol, pouvaient y paraître des lis, blanches corolles sur de hautes tiges, gorgées de poussière d’or. Ailleurs, sans doute, charge brillante des rameaux, le fruit régional faisait plier les branches, étayées par des fourches sous les grains nombreux et pesants des mirabelles. Quand le soleil, du haut de sa courbe, chauffait la terre entre les murs, la fleur et le fruit se respiraient à distance.

La fille de Jacques d’Arc est dans le jardin de son père, cultivateur à Domremy, notable du village[1].

Elle peut avoir treize ans. C’est une enfant de bonne race, brune aux franches couleurs. Elle accomplit sans doute quelque besogne coutumière, une de ces humbles tâches que viennent ramener les heures. On est en été. Midi s’approche ou passe. Elle doit tourner les épaules au soleil, qui brille au Sud, pardessus la maison, et qui frappe devant elle, un peu vers sa droite, sur le flanc de l’église et la tour du clocher.

Il est midi, peut-être moins, peut-être plus. Une volée de cloches a pu passer. Le bruissement se prolonge-t-il encore ? La fille de Jacques d’Arc est dans le jardin que décore la saison. Tout à coup, dans le plein jour, lumière sur lumière, à sa droite, lui apparaît une clarté. Une voix se fait entendre, une effigie se dessine, une figure merveilleuse, et qui parle, est auprès d’elle. C’est un prince céleste, prince combattant, victorieux dans les batailles du Bien contre le Mal. C’est monseigneur saint Michel. Mais cela, elle ne le connaît pas encore. A cet instant, pour elle, ce n’est qu’une voix qui parle, « une digne voix, » dira-t-elle, en son simple et beau langage.

L’enfant pieuse et charmante a grand’peur. Elle l’a dit sans le cacher. Elle est tremblante et secouée. Entre elle et l’apparition, un dialogue s’est établi, grave et limpide. Il n’est encore question que du salut de son âme. Elle prononce un vœu : elle consacre au ciel sa pureté, tant qu’il plairait à Dieu. La voix se tait. La clarté rentre dans la couleur du jour.

  1. Ce qui précède et suit est tiré de l’examen des lieux et des textes du Procès.