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première semaine ; il y en a eu plus de 100 000 ensuite. Parmi eux, les porteurs des plus beaux noms nobiliaires du pays fraternisaient avec les enfants du peuple qui avaient quitté la charrue ou l’outil pour la carabine. Huit fils de ministres ou d’anciens ministres apportèrent les prémices de leur jeunesse. Trois d’entre eux, Paul Renkin, Louis et Delbede sont tombés au champ d’honneur : deux autres, de Broqueville et Jean Renkin, y ont gagné les épaulettes de sous-lieutenant ; quatre autres, Berryer, de Lantheere, Nyssens, Poulet, ont fait le coup de feu à l’âge de 16 ou de 17 ans. C’étaient des volontaires encore, on peut le dire, ces jeunes gens des classes 1914 et 1915 qui, à l’appel d’un gouvernement exilé, bravant les interdictions et les menaces de l’ennemi, passaient les frontières hérissées de sentinelles et de fils de fer, souvent après des aventures où l’héroïque folie du patriotisme réalisait les plus audacieuses fictions de la légende. Ah ! les pathétiques odyssées, et quels beaux sujets d’histoire à raconter plus tard dans les veillées auprès des foyers belges !

En vain, M. von Bissing menaçait-il les familles des réfractaires ou frappait-il d’amendes énormes les communes qu’ils habitaient ; en vain, ses soldats fusillaient-ils, comme à Ternath, les jeunes miliciens qui se présentaient à l’appel des Allemands en exhibant un portrait du roi Albert au bout d’un bâton, rien n’arrêta l’élan patriotique de la jeunesse belge, et l’on a calculé que dans les régions limitrophes de la frontière, 80 p. 100 des classes de 1914 et 1915 étaient déjà de l’autre côté de l’Yser, ce petit fleuve patriotique qui ne se laisse franchir que par des Belges.

Mais la Belgique militante n’était pas seule à soutenir l’honneur du drapeau : il y avait une Belgique souffrante. Prisonnière et vinculée, accablée de menaces, d’interdictions, d’amendes, elle tenait bon, et elle n’humiliait pas devant l’arrogance de l’ennemi la fierté du pavillon national. Son gouvernement n’était plus là, mais ses magistrats communaux restaient pour l’encourager, pour la soutenir, et l’histoire aura une mention spéciale pour le nom du premier magistrat de la capitale, M. Adolphe Max : « Aussi longtemps que je serai en vie et en liberté, avait-il dit, je protégerai de toutes mes forces le droit et la dignité de mes concitoyens. » M. Max a tenu cette belle promesse, et l’ennemi l’a constaté lui-même en se