Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 51.djvu/10

Cette page n’a pas encore été corrigée

REVUE DES DEUX MONDES.

sentiment qu’ils joueraient un rôle dans ma vie et c’était ce projet d’achat qui m’avait conduit de nouveau au palais Pastinati. Ce palais Pastinati, situé dans un des quartiers les moins fréquentés de Venise, avait été jadis une opulente demeure. Bien qu’assez délabré, il présentait encore un fort bel échantillon de l’architecture vénitienne au XVIIe siècle. Il mirait dans un étroit rio sa façade somptueuse et décrépite et conservait vraiment grand air avec sa haute porte marine aux vantaux moisis, surmontée d’une tête de guerrier casqué et barbu. Cette porte franchie, on pénétrait dans une vaste salle au dallage humide, mais d’une noble proportion, sous un plafond à caissons sculptés où était figuré le blason des anciens maîtres du lieu. Ce vestibule seigneurial offrait aux regards une antique chaise à porteurs, près de laquelle une statue de bois peint représentait un petit laquais tendant aux visiteurs un plateau. Dans ©e plateau étaient des cartes imprimées où se lisaient ces mots :

Carlo Barlotti 

Antichità

Ce palais Pastinati était, en effet, la propriété de M. Barlotti, marchand de curiosités. M. Barlotti en avait fait une dépendance de son magasin de la place Saint-Marc et y tenait en réserve un grand nombre d’objets. Cette destination faisait du palais Pastinati l’endroit le plus hétéroclite du monde. Cependant, tout en obéissant aux exigences de son métier, M. Barlotti ne manquait pas de goût. Plusieurs salles du palais ayant conservé leur décoration originale en stucs coloriés, M. Barlotti en avait restitué le mobilier contemporain. Dans une de ces pièces, il avait même placé trois ou quatre mannequins de grandeur naturelle et revêtus de costumes du temps. Mais malgré cet effort pour rendre la vie au palais Pastinati, M. Barlotti n’était pas parvenu à lui enlever un certain aspect de désuétude fantastique. On y respirait une étrange odeur de moisissure et d’humidité. Les pas y retentissaient singulièrement sur les dallages sonores et faisaient craquer bizarrement les parquets vermoulus. Avec ses salles trop vides ou trop encombrées, ses escaliers, ses portes, ses recoins biscornus, le palais Pastinati avait des airs de maison hantée. Cette impression s’augmentait encore par la présence de